Lettre à Monsieur de Saint-Germain, de Jean-Jacques ROUSSEAU (1770)

Très longue mais très intéressante lettre, où Jean-Jacques Rousseau entre dans le détail des querelles et inimitiés dont il parle trop vaguement dans Rousseau juge de Jean-Jacques, et de manière enfin nominative.

Ses raisons semblent bonnes : il analyse avec honnêteté, du moins, il le semble, la genèse des malentendus qui l'ont opposé à Choiseul, Mme de Boufflers, Mme de Luxembourg, etc. Il n'hésite pas à prendre la responsabilité de certaines ambiguïtés, mais ne fait aucun cadeau des mauvaises intentions des autres hommes, et reconnaît prendre ces gens-là pour ce qu'ils sont depuis.

Il répond sur la question, rebattue même et surtout par ceux qui ne l'ont pas lu (et se servent de cette excuse politiquement correcte pour ne pas le lire) de l'abandon des enfants. Même si Rousseau est toujours d'une discrétion de violette sur les mœurs de sa compagne (encore que ses omissions laissent filtrer beaucoup, par exemple qu'il ait supprimé dans le Lévite d'Ephraïm l'accusation d'adultère sur la concubine du Lévite, concubine censée être faite sur le modèle de Thérèse...), entre autres raisons, il cite, très vite et sans développer, que l'"honneur" de sa compagne nécessitait l'abandon desdits enfants... De plus en plus d'universitaires n'excluent pas que Rousseau savait ou croyait que "ses" enfants n'étaient pas de lui.

Évidemment, au fur et à mesure que son exposé avance, Rousseau se laisse prendre au lyrisme et commence à généraliser au cosmos entier la persécution contre lui, et l'on cesse de le croire, alors même qu'on ne peut qu'être touché par la sincérité de sa peine : "J'avoue même que l'indigne rôle auquel je me vois ravalé et pour lequel la nature m'avait si peu fait me donne un frémissement et des serrements de cœur que je ne puis vaincre, et dont j'aurais été moins subjugué dans de plus heureux temps.(...) mais l'innocence rougit et pleure en se voyant couvrir de fange (...) un tempérament timide ne peut se refondre (...)."