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Mots et Images
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4 juillet 2010

Voyage au bout de la nuit, de Louis-Ferdinand CÉLINE (1932)

voyageFerdinand Bardamu s’engage sur une inspiration dans l’armée pendant la guerre 14-18. Il déchante très vite devant la bêtise, la cruauté fanatique de ses supérieurs et, comme il est blessé en tentant de fuir dans l’espoir d’être fait prisonnier par les Allemands, il sera décoré et connaîtra un sursis en permission.

Mais l’épée de Damoclès d’un retour sur les champs de bataille le terrorise tellement qu’il finit avec des hallucinations. Sa fiancée américaine, Lola, dégoûtée de ce qu’elle perçoit comme de la lâcheté (il revendique sa peur), le quitte alors qu’il est interné, en observation parmi d’autres soldats qu’on suspecte de vouloir fuir la guerre. Il connaît ensuite plusieurs déceptions sentimentales, lui qui est toujours irrésistiblement attiré par les femmes, car celles-ci sont toujours peu ou prou vénales. L'impécuniosité, la précarité de la vie des permissionnaires entraîne l'exploitation du patriotisme inquiet des gens de l'arrière. Mais en réalité, ce sont ces héros épiques campés qui sont les vraies dupes : la mort est au bout.

Bardamu, plus que jamais conscient de cela, décide alors d'émigrer en Afrique ("[échappé] vivant d'un abattoir en folie"). Il fait alors la découverte que le climat révèle le tempérament réel des colons, des Blancs :

"Dès que le travail et le froid ne nous astreignent plus, relâchent un moment leur étau, on peut apercevoir des Blancs (...) la vérité, mares lourdement puantes, les crabes, la charogne et l'étron."

Il s'échappera de même de cette Afrique morbide, vendu par des Noirs et un prêtre (!), pour aller aux États-Unis d'Amérique, où il rencontrera le seul personnage féminin voire humain positif du roman... puis retour en banlieue parisienne...

Dans sa course vers la nuit, il retrouvera toujours Léon Robinson, une sorte de double, à la fois semblable et inversé.


Les pages sont brûlantes et visqueuses de haine dès la montée dans le premier bateau. L'écriture est brillante, époustouflante, tout mériterait d'être cité dans l'anecdote du voyage en Afrique.

Je suis étonnée que ça ne soit pas ce style incroyable, mélange d'ironie et de fausse naïveté, oral, familier, mais soutenu et construit, qui m'ait marquée. Comme si, à l'époque où je l'ai lu (il y a plus de vingt ans), je n'étais capable de mémoriser que "l'histoire", la trame narrative. C'est un constat que je fais à chaque relecture lointaine, et je tiens la lectrice, que tout le monde admirait alors, en bien piètre estime.

Ce qui est remarquable ici, c'est le fiel alerte et virtuose qui s'attache à la médiocrité recensée des êtres ; passer à côté, c'est frôler le contresens presque à coup sûr.

Citations :

  • Actuellement il n’y a plus de soldats indignes de porter les armes et surtout de mourir sous les armes et par les armes… On va faire, dernière nouvelle, un héros avec moi !... Il faut que la folie des massacres soit extraordinairement impérieuse, pour qu’on se mette à pardonner le vol d’une boîte de conserve ! que dis-je ? à l’oublier ! Certes, nous avons l’habitude d’admirer tous les jours d’immenses bandits, dont le monde entier vénère avec nous l’opulence et dont l’existence se démontre cependant dès qu’on l’examine d’un peu près comme un long crime chaque jour renouvelé, mais ces gens-là jouissent de gloire, d’honneurs et de puissance, leurs forfaits sont consacrés par les lois, tandis qu’aussi loin qu’on se reporte dans l’histoire – et vous savez que je suis payé pour la connaître – tout nous démontre qu’un larcin véniel, et surtout d’aliments mesquins, tels que croûtes, jambons ou fromage, attire sur son auteur immanquablement l’opprobre formel, les reniements catégoriques de la communauté, les châtiments majeurs, le déshonneur automatique et la honte inexpiable, et cela pour deux raisons, tout d’abord parce que l’auteur de tels forfaits est généralement un pauvre et que cet état implique en lui-même une indignité capitale et ensuite parce que son acte comporte une sorte de tacite reproche envers la communauté. Aussi la répression des menus larcins s’exerce-t-elle, remarquez-le, sous tous les climats, avec une rigueur extrême, comme moyen de défense sociale non seulement, mais encore, et surtout comme une recommandation sévère à tous les malheureux d’avoir à se tenir à leur place et dans leur caste, peinards, joyeusement résignés à crever tout au long des siècles et indéfiniment de misère et de faim…

  • Beaucoup d'hommes, en fait d'art, s'en tiennent toujours comme lui, à la manie des beaux mollets.

  • Je n'avais pas beaucoup de choses pour moi, mais j'avais certes de la bonne tenue, on pouvait le dire, le maintien modeste, la déférence facile et la peur toujours de n'être pas à l'heure et encore le souci de ne jamais passer avant une autre personne dans la vie, de la délicatesse enfin... Ils passaient ainsi pendant des semaines et des années les uns devant les autres, les colons, jusqu'au moment où ils ne se regardaient même plus tellement ils étaient fatigués de ses détester. Quelques officiers promenaient leur famille, attentive aux saluts militaires et civils, l'épouse boudinée dans ses serviettes hygiéniques spéciales, les enfants, sorte pénible de gros asticots européens, se dissolvaient de leur côté par la chaleur, en diarrhée permanente. (...) La majorité du contingent était toujours à l'hôpital cuvant son paludisme, farcie de parasites pour tous poils et pour tous replis, des escouades entières vautrées entre cigarettes et mouches, à se masturber sur les draps moisis, tirant d'infinies carottes, de fièvre en accès, scrupuleusement provoqués et choyés. Ils en bavaient, ces pauvres coquins, pléiade honteuse, dans la douce pénombre des volets verts

    (...)
  • Presque tous les désirs des pauvres sont punis de prison.

  • Ça te suffit parce qu'ils t'ont raconté les autres qu'il y avait pas mieux que l'amour et que ça prendrait avec tout le monde toujours... Eh bien moi je l'emmerde leur amour à tout le monde !... Tu tombes de travers !... T'arrives trop tard ! Ça prend plus, voilà tout !... Et c'est pour ça que tu te mets dans les colères !... T'y tiens quand même toi à faire l'amour au milieu de tout ce qui se passe ?... De tout ce qu'on voit ?... Ou bien c'est-y que tu vois rien ?... Je crois plutôt que tu t'en fous !... Tu fais la sentimentale pendant que t'es une brute comme pas une... Tu veux en bouffer de la viande pourrie ? Avec ta sauce à la tendresse ?... Ça passe alors ?... Pas à moi !... (...) Faut être abrutis comme vous l'êtes tous pour pas que ça vous dégoûte...

 

Relecture.

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Commentaires
D
J'ai hâte d'avoir laissé décanter assez longtemps le roman pour pouvoir le relire encore...
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Y
Une vraie révélation que ce livre que j'ai aussi lu deux fois avec autant de plaisir et de jubilation à chaque fois.
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D
J'ai hâte de savoir ce que tu en penses. Comme me disait ma mère, quand j'avais quinze ans : "Céline et Duras, on aime ou on déteste".<br /> C'est un univers particulier (je ne parle même pas du style), mais qui mérite d'être connu.
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J
Celui-ci je l'ai acheté sur une brocante en juillet... Cet auteur manquait pour l'instant à ma culture<br /> Je l'ai commencé<br /> A suivre donc -bis-
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D
Je ne cesse de tomber à la renverse au fil de mes relectures très anciennes : j'ai toujours un nouvel œil, que je me souvienne assez bien ou pas trop des livres lu à l'époque.
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