Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mots et Images
Mots et Images
Derniers commentaires
Newsletter
31 juillet 2010

La Ciociara, d'Alberto Moravia (1947)

img177Une "ciociara", c'est une "paysanne des environs de Rome, ainsi nommée à cause de ses ciocie, sandales faites d'un rectangle de cuir, retourné sur le pied et s'attachant sur la jambe par des lacets ou des courroies" (note de bas de page du roman).
Cesira est une commerçante aisée de Rome, veuve, fière de son solide bon sens paysan et de sa vertu, faite d'inappétence pour la chair et pour les complications. L'amour de sa vie est sa fille Rosetta, âgée de dix-huit ans (et non pas de treize, comme dans le film de 1960 avec Sofia Loren, peut-être pour éviter que la star ne soit encombrée d'une jeune première ?). La guerre est une complication à laquelle elle va faire face selon sa priorité toute simple: manger loin des bombes. Il faudra partir en Ciociarie, sa région d'origine, où se trouvent encore ses parents, car il est plus facile de trouver à manger à la campagne qu'en grande ville, où l'on dépend si bien des approvisionnements et des transports qu'on peut crever tranquillement et rapidement de faim. Alors commence dans les campagnes, les montagnes italiennes, l'attente déraisonnable et irraisonnée de l'arrivée des Anglais, qu'on imagine sous forme de distribution générale de victuailles au peuple ennemi d'hier.
Cesira va découvrir, dans un roman d'apprentissage de l'âge mûr, qu'on ne vit pas que de nourriture, surtout quand cette dernière est devenue plus rare que l'argent, que ce dernier, le dieu d'hier, se dévalue, et qu'on peut perdre sa solide petite âme prosaïque pendant la guerre.
Ce roman qui commence dans cette quête de la survie alimentaire par une femme qui se revendique peu instruite et philistine s'achève dans l'amour (blessé) et l'espoir de quelque chose de plus que de rester vivant. C'est un grand livre, qui me réconcilie un peu avec certaines œuvres ultérieures de Moravia.
Cesira, et son fils de cœur, Michel, le fils d'une autre famille de réfugiés, un intellectuel qui va tenter d'ouvrir les perspectives de Rosetta et de sa mère, sont des personnages très touchants. Il y a également de très belles descriptions de la vie à la montagne, qui m'ont fait penser aux miennes, où je n'irai hélas pas cette année.
La_CiociaraJ'ai découvert certaines séquences du film de De Sica et les commentaires que quelques internautes ont cru bon de faire. Il me semblait que le film avait, autant que le roman, simple vocation à empêcher d'oublier que les "libérateurs" (armée française sous la direction d'Alphonse Juin, composée de recrues d'Afrique du Nord, cocorico) ont perpétré en Ciociarie une vague de crimes incroyable. Or ce film sert à présent aux racistes de tout poil à détourner le devoir de gratitude auquel le film "Indigènes" appelait les Français. Face à eux, bien vomitifs également, ceux qui prétendent que cette armée n'a pas du tout commis ces atrocités ! On ne combat pas le négationnisme en faisant du négationnisme : des hommes, des femmes, des enfants, ont souffert ici et ailleurs, et on n'a le droit de l'occulter sous aucun prétexte ni bonne intention.

Citations :

  • "Je me souviens de cet inventaire, et je le rapporte ici pour donner une idée de ce qu'était notre vie matérielle en cet automne de 1943. Notre vie, la mienne et celle de Rosetta, dépendait donc d'un sac de cinquante kilos de farine à faire le pain et les pâtes, d'un sac plus petit de farine de maïs, d'une vingtaine de kilos de haricots de la plus basse qualité et de quelques kilos de pois chiches et de lentilles : joignez à cela cinquante kilos d'oranges, un pot de saindoux de deux kilos environ et deux kilos de saucisses. En outre, Tommasino m'apportait un sac de fruits secs : figues, noix et amandes, et une bonne quantité de ces caroubes qui, d'ordinaire, sont destinées aux chevaux, mais que nous trouvions encore assez bonnes pour nous."

  • " Je ne cite ces paroles de ma fille que pour donner une idée de sa façon de penser et de raisonner à cette heure où nous étions en pleine guerre et en pleine disette. Peut-être sembleront-elles naïves et même un peu sottes, mais elles témoignent de cette perfection qui la caractérisait, perfection venant sans doute de son ignorance et de sa candeur, mais toute de sincérité et de sensibilité. Certes, par la suite, je pus voir que cette perfection était fragile, presque artificielle, comme celle d'une fleur poussée en serre chaude qui, transportée en plein air, se flétrit aussitôt et meurt ; mais à ce moment je ne pouvais faire autrement que de m'attendrir et de penser que j'avais vraiment une fille trop douce et bonne que je ne méritais pas."

  • "La douleur. La pensée de Michel travers mon esprit (...). Je me souvins du soir où il nous avait lu à haute voix, dans la cabane, l'épisode évangélique de la résurrection de Lazare. (...) Alors ces paroles de Michel n'avaient éveillé aucun écho en moi. Maintenant au contraire, je comprenais qu'il avait raison : pendant quelque temps, nous avions été mortes, Rosetta et moi, mais au dernier moment, la douleur nous avait sauvées (...) et nous allions reprendre le droit chemin de notre vie : une pauvre chose sans doute, pleine d'obscurité et d'erreurs, mais la seule à laquelle nous devions être fidèles."

Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité