Moi, Daniel Blake, de Ken Loach (2016)
On ne garde plus les chômeurs à Londres : les y entretenir coûte trop cher. C'est ainsi que Katie, chômeuse londonienne, qui élève seule ses deux enfants, vient de s'installer à Newcastle, se trompe de bus et arrive en retard pour pointer et ne parvient pas à se faire entendre, ni comprendre, encore moins aider. Daniel Blake assiste à la scène et s'indigne de la situation, tente de l'arranger mais se fait mettre à la porte comme fauteur de troubles, et c'est dehors que les deux deviennent amis. Lui-même est victime d'une situation que, dès les premières minutes du film, on qualifie in petto de kafkaïenne, ubuesque. Menuisier, il a fait une crise cardiaque et ne peut plus travailler. Il lui faut donc une allocation d'invalidité ; celle-ci vient d'être refusée, manifestement par erreur. Or, relancer le service va prendre beaucoup de temps, et il faut bien vivre, donc il va devoir solliciter une aide à l'emploi... alors qu'il ne pourra pas accepter les emplois éventuels, ni même les rechercher, car pratiquement tout se fait par internet, et les preuves sont souvent numériques (photos, etc.).
Face à des gens désespérés et pauvres qui sombrent dans le désespoir en même temps que dans la misère, on voit des machines, ou des gens qui se comportent comme des machines. La solidarité humaine fait de temps en temps une trouée de lumière, de chaleur : c'est la préposée ou l'usager qui vient te montrer comment remplir en ligne ton formulaire, l'inconnu qui intervient pour te défendre ou acclamer ta révolte, celui qui te donne à manger, celle qui te parle avec douceur, sans te juger ni condescendre... Et puis les innombrables prédateurs qui guettent et qui sont finalement les seuls à t'aider, un peu, en quelque sorte... On se souvient d'Oliver Twist et qu'on est dans la patrie de Dickens. Seul Faggin donne à manger à Oliver, après tout... les nantis te traitent en assisté, en profiteur et semblent te reprocher la moindre bouchée qui t'empêche de mourir. C'est exactement le propos du film.
Faut-il désespérer ? Le film dit un peu non, beaucoup oui. Merci à Ken Loach pour ce film nécessaire, merci à lui de ne pas nous aider à détourner les yeux et de nous donner des pistes : la solidarité, la compassion, la patience.