Elle n'était pas d'ici, de Patrick Poivre d'Arvor (1995)
Voilà ce qui se passe quand on lit un livre en langue étrangère au vocabulaire très recherché : on laisse plein d'autres livres qu'on ne penserait même pas lire lui passer devant... Celui-là, là, qui traîne en attendant d'être libéré en bookcrossing, par exemple...
Préambule un peu acide, presque indécent par rapport au sujet du livre : le deuil d'un père après le suicide macabre de sa fille anorexique.
C'est un livre thérapeutique pour son auteur, écrit sur le conseil d'un ami. Il ressemble à un recueil de textes d'enterrement, d'ailleurs, il relate la messe d'enterrement, les autres messes pour Solenn, la jeune fille. Qui a parlé, qui a lu quel texte. On a des extraits de courriers, des extraits de textes qui lui ont été envoyés pour le consoler, Saint-Augustin, etc. Toute la famille s'est astreinte à ne pas violer journaux et carnets de Solenn, exception faite du jour du suicide, pour essayer de comprendre. J'y glane de magnifique citations d'Alain, tirés de Propos sur le bonheur, qu'un collègue m'a chaleureusement recommandé.
Malgré le conseil réitéré de ne pas culpabiliser qu'il a reçu (en réalité, personne ne sait vraiment ce qui provoque l'anorexie et on peut être sûr que sa fille a été suivie par les plus grands professeurs de Paris), on sent bien que le père cherche ou croit trouver ce qui a dégoûté sa fille de vivre, ce qui a pu faciliter le passage à l'acte, notamment.
L'image qui ressort de Solenn est curieusement très opaque, malgré les adjectifs mélioratifs qui font d'elle un ange, un être lumineux. Elle semble - elle est - réservée, renfermée sur elle-même, mystérieuse et rétive. Après lecture, je suis allée chercher des photos et ce que j'ai vu ne cadre pas vraiment avec ce que j'ai lu, contrairement à celle de la couverture (photo officielle de la défunte depuis son décès)... J'imagine que cela vient du contraste entre des photos de vie et l'écriture endeuillée.
Citations :
- Pardonne-moi surtout de t'avoir faite si fragile, si sensible, si poreuse à toutes les saletés qu'on peut débiter sur mon compte.
- Mais c'est quand même de ma faute, mon amour, je n'avais qu'à pas faire ce métier de funambule. Tout le monde n'a qu'une envie, c'est de voir l'équilibriste tomber.
- "Ce que l'on n'a point assez dit, c'est que c'est un devoir aussi envers les autres que d'être heureux. On dit bien qu'il n'y a d'aimé que celui qui est heureux : mais on oublie que cette récompense est juste et méritée ; car le malheur, l'ennui et le désespoir sont dans l'air que nous respirons tous ; aussi nous devons reconnaissance et couronne d'athlète à ceux qui digèrent les miasmes, et purifient en quelque sorte la commune vie par leur énergique exemple. Aussi n'y a-t-il rien de plus profond dans l'amour que le serment d'être heureux." ALAIN, _Propos sur le bonheur_, "Du Devoir d'être heureux".