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Mots et Images
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11 novembre 2020

Les Furtifs, d'Alain Damasio (2019)

indexVoilà un bon exemple de livre qu'on croit connaître à cause des synthèses qui ont été faites dessus, des réflexions (très intelligentes) et générales qu'elles ont fait naître. Mais une fois ouvert, on ne les retrouve plus sous la forme qu'on croyait.

Dans une France où tout est à vendre, les furtifs sont des créatures de petite taille, presque indétectables, perceptibles grâce à des machines ou à une concentration particulière, comparées d'abords à des mangoustes, à des chauves-souris. Lorca en est devenu chasseur car sa fille, toute petite, en a vu jadis, et a disparu, ce qui contribua également à la fin de son couple, la mère voulant faire son deuil et le père en étant toujours incapable.

Or le lien entre les furtifs et la petite fille se fait de plus en plus étroit et, malgré la certitude que le Récif essaie d'exploiter leur détresse parentale à des fins plus politiques et scientifiques, Lorca et Sahar acceptent de coopérer et d'être suivis, tracés dans leur quête, associés aux autres membres de l'équipe militaire.


 Dans La Horde du contrevent, la polyphonie était très accompagnée par des symboles en début de narration qui indiquaient, même si on devinait très vite qui parlait, le changement de voix. A présent, la narration typée/typographiée et quelques caractères spéciaux de prédilection dans la bande de chasseurs de furtifs seuls indiquent qui parlent... or il y a plus de personnages dans le roman que d'indications liminaires si bien que je me suis vite perdue et, pire, j'ai décidé de m'en moquer, un peu agacée par le côté marche ou crève affecté de cette lacune.

Soudain, un sourire étonné m'a traversée : "Pour ma part, le texte m'a au final ulcérée, eu égard à notre quête, que je trouve polluée et bafouée par une sorte de complaisance littéraire d'initiés." J'ai un instant pensé à une mise en abyme due à la lucidité de l'auteur sur son propre texte (son goût, que je ne partage pas, pour les créations de type oulipo ont été plus pesantes que jamais ici) ou par la citation parodique d'un proche auquel il a fait lire brouillons ou épreuves.

On imagine toutefois bien des accents, certaines voix ressemblent à d'autres, de La Horde ou de La Zone du dehors, qu'on retrouve avec plaisir comme des acteurs appréciés ici qui viendraient jouer ailleurs. Mais certaines voix se ressemblent trop, notamment par cette syntaxe relâchée, polluée de mots anglais (Toni, sorte de reprojection djeunz de Caracole). J'en comprends toutefois la nécessité dans un monde de SF où nous sommes toujours mondialisés selon les codes du capitalisme étatsunien. Bref, je m'ennuyais un peu, jusqu'à la page environ où tout bascule, tout devient haletant, passionnant, vraiment poétique et nécessaire.

Offert par Joël (merci !) qui se croyait inconditionnel d'Alain Damasio et j'ai compris plusieurs fois pourquoi il n'a pas pu le finir : le (long) début nous fait buter dans beaucoup de complaisance dans l'opacité narrative et le travail du style tourne au maniérisme, on s'éloigne des qualités des oeuvres précédentes, pour les retrouver vers la fin.

Citations :

  • S'y ajoutait la beauté spirituelle des offrandes, dans leur gratuité si contraire à nos capitalismes, et dont l'impact fut incroyable ! Ces offrandes posaient chaque matin et chaque soir une forme de stase poétique, de grâce, avec leurs barcarolles de roseaux glissant vers la mer, chargés d'un peu de fruits, de quelques fleurs, saupoudrées de frains de riz, que les enfants adoraient construire et regarder dériver sur le fleuve. Si l'offrande n'avait aucune utilité matérielle, pour le reste, elle bouleversait tout : dans l'esprit, dans l'ouverture à un ailleurs où les Balinais infusaient ce plaisir de réjouir les dieux tout en apaisant leurs démons - et où nous, Européens, retrouvions un rapport perdu au dehors. Une relation aux oiseaux qui picoraient l'offrande comme aux poissons qui la mangeaient, une sensation de donner, donner enfin à des forces positives, qui nous reliaient à notre propre bonté refoulée. Ce que beaucoup d'Occidentaux, plombés par notre judéo-christianisme, envisageaient au départ comme un acte de déculpabilisation, requis par la peur d'être punis, prit bien vite son sens profond. Celui d'un geste de gratitude envers la richesse de la vie - l'intensité du soleil, la fécondité de l'eau, la poussée lente des arbres et du riz, les cycles de la lune, le mistral qui fait frissonner les trembles. Moins un devoir qu'un honneur, moins une routine qu'un hommage éveillé.
  • Ce matin-là, une jeune mère célibataire, en baskets à coussin d’air et collant vidéo, chantait le jingle de la réul à seule fin d’avoir le droit de se coucher sur un banc, la nuit tombée, sans que le courant électrique la secoue, chaque quart d’heure, pour stationnement prolongé. Sur le rond-point, un quinqua à la veste émotive, ici gris pâle, jouait seul les quatre personnages de Amis-Amies, la série « conviviale » qui faisait un carton et m’interpella les deux bras levés, vu que j’étais le seul à le regarder, pour me vanter la saison 9. Sous un crossload où des ados venaient partager leur musique, une minotte d’à peine seize ans jonglait du genou avec une canette pour m’abonner à Futsal. Lorsque je lui ai demandé pourquoi elle était là, elle m’a avoué que ses parents venaient de casser son contrat d’éducation suite à sa troisième fugue et qu’elle n’avait plus droit à l’enseignement non plus. D’autres vendiants m’avaient suivi, arrêté, croisé sur mon kilomètre de marche, certains pour m’offrir une bague universelle, qui un bracelet de cent téras, des smartglass, un dîner végis, d’autres cinq minutes de speed matching avec une célibattante tout-à-fait-votre-genre. Ils s’accrochaient à vous, ils vous tenaient le bras ou se plantaient devant, ils cherchaient à « établir le contact » comme les vidéos de coaching qui pullulaient sur le réseau leur conseillaient de le faire.
  • Moi, je ne vais pas accepter. J'ai passé vingt ans à construire une autre éducation, à essayer d'expliquer dans les cités tout le mal que ces bagues font. À nos libertés, à nos existences. J'ai monté, je ne sais pas, peut-être deux cents ateliers sur le sujet. J'ai vu des ados dissoudre leur bague dans un bol d'acide après un cours. Et vous voudriez que je me renie pour rassurer la police ?
  • Je vois un monde d'adultes mort où tout a été conçu pour une fonction et une seule et où chaque acte est capté et noté, pour mouler des cakes de datacaca. Former prédiction d'achat et générer leur putain de plus-value putative.
  • Tous les pouvoirs ont intérêt à nous attrister. Rien ne leur nuit plus que la joie. La joie, ça n'obéit pas.

Vidéo où Damasio évoque "Les Furtifs"

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Commentaires
T
Bonjour<br /> <br /> Je suis en cours de lecture (ça ne se lit pas facilement!), et je sais déjà que je ne le chroniquerai pas (mais je n'ai pas non plus chroniqué La horde du contrevent, même si lu deux fois à quelques années d'intervalle...). <br /> <br /> J'ai déjà fait la grimace au fait que les multinationales aillent jusqu'à s'offrir des villes, sans plus se cantonner (comme aujourd'hui) à des enceintes sportives (Bercy, stades...). Prémonitoire?<br /> <br /> (s) ta d loi du cine, "squatter" chez dasola
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I
Merci, bonne année à toi aussi (puisqu'il est encore temps...), en espérant que la situation revienne au plus vite "à la normale"...
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I
Bonjour Dona Swann,<br /> <br /> J'ai certes préféré La Horde, qui est mon coup de cœur 2020, mais j'ai aussi trouvé ces Furtifs excellents, bien que par moments un peu abscons en effet...
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