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7 décembre 2022

Les Rêveries du promeneur solitaire, de Jean-Jacques Rousseau (1782)

Les-Reveries-du-promeneur-solitaireVoilà une lecture dont la poursuite m'attend depuis le temps de mon Lycée, que j'avais interrompue paradoxalement au moment où toute la souffrance géniale de Rousseau m'apparaissait, au début de la "Troisième promenade", quand il dit : "L'adversité sans doute est un grand maître, mais il fait payer cher ses leçons, et souvent le profit qu'on en retire n'en vaut pas le prix qu'elles ont coûtées." La voilà poursuivie et, tout en admirant à la fois la simplicité et le scrupule du raisonnement, la vulnérabilité qu'on a qualifiée de paranoïaque devant le jugement d'autrui, et la réitération incoercible de ses confessions, écrite entre 1777 et 1778, je me suis posé la question pratique de sa prise de notes... C'est tout moi. Eh bien, il écrivait sur des cartes à jouer qu'il promenait avec lui alors même qu'il affirmait de n'avoir pas pris d'écritoire lors de son séjour sur l'île Saint-Pierre, près de Neuchâtel...

La parenté avec l'écriture de Montaigne, rubriquée mais "à sauts et à gambades" m'est irrésistiblement apparue. Il mêle souvenirs et observations, thèmes médités au cours de ses promenades avec de très longs passages narratifs où reviennent souvent ses motifs de crainte les plus profonds, bien que sa "paranoïa" semble s'être stabilisée et apaisée. Selon le séminaire d'Agrégation que je suivis jadis, ce n'est pas juste un problème de nomenclature créée à partir de son cas : Rousseau l'admet lui-même, parle de "délire" et dit qu'il a duré dix ans. Il aborde également à demi-mots la question de ses enfants dans deux Rêveries... Bref, il attaque immédiatement par sujets de controverse le concernant qui ont dû l'outrager le plus profondément. Il est en effet là dans la période où, après avoir publié tout ce qui révolutionna les idées, il n'en finit plus de tenter de se justifier personnellement, mais on a quitté l'urgente plaidoirie pro domo de Rousseau juge de Jean-Jacques. Et il est touchant dans sa souffrance, de toute évidence sincère, bien sûr. Il finit par en parler dans pratiquement chaque promenade mais, avec un peu d'attention, on voit qu'il essaie, au-delà de sa pose cicatricielle démentie par l'obsession, de faire son miel philosophique de son expérience, qu'il essaie de tirer une observation du mécanisme de la blessure de trahison et de la blessure narcissique (qu'il ne nomme évidemment pas ainsi), de la fuite misanthropique en apparence mais de la peur réelle qu'on le blesse encore... au point qu'il s'organise régulièrement des confrontations avec les passants pour faire face à sa terreur des injures et de la calomnie pour vérifier en lui-même ce qu'il ressent, ne ressent plus, ressent encore et pourquoi. C'est de la science, pas de la pleurnicherie, et écrite d'une très belle plume.

Les passages les plus ahurissants de beauté sont dans la "Cinquième Promenade" et tous ceux qui, ailleurs, dépeignent l'exaltation toute pré-romantique à s'isoler dans la nature. Aucun paganisme derrière, pas de "Credo in Unam" anticipé, juste de la curiosité scientifique (avec un penchant affirmé pour la botanique), un goût esthétique, sensuel et une ascèse, mais on voit que Rousseau pratique dans ces lieux arborés et solitaires une méditation (il avoue le mot) de type "pleine conscience" avec une recherche de l'inscription dans le présent que les chantres du développement personnel actuel ne désavoueraient pas.

Au niveau des curiosités psychologiques, je trouve étonnante sa tendance à chercher à gratifier (d'une manière parfois disproportionnée) non seulement les enfants mais aussi les adultes qui lui font bonne figure. Au moment où je tremblais qu'il n'en fît trop (9ème promenade), il s'en rend compte lui-même et renonce, après avoir payé une promenade en bateau à un vieil invalide, à lui donner en plus une sorte de pourboire pour le remercier tacitement de sa conversation aimable (!) : "Après avoir quitté mon vieux (sic) invalide, je me consolai bientôt en pensant que j'aurais pour ainsi dire agi contre mes propres principes en mêlant aux choses honnêtes un prix d'argent qui dégrade leur noblesse et souille leur désintéressement. Il faut s'empresser de secourir ceux qui en ont besoin, mais dans le commerce ordinaire de la vie laissons la bienveillance naturelle et l'urbanité faire chacune leur oeuvre, sans que jamais rien de vénal et de mercantile ose approcher d'une si pure source pour la corrompre ou pour l'altérer."

Citations :

  • La présence de l'homme haineux m'affecte violemment, mais sitôt qu'il disparaît l'impression cesse ; à l'instant que je ne le vois plus je n'y pense plus. J'ai beau savoir qu'il va s'occuper de moi, je ne saurais m'occuper de lui. Le mal que je ne sens point actuellement ne m'affecte en aucune sorte, le persécuteur que je ne vois point est nul pour moi. Je sens l'avantage que cette position donne à ceux qui disposent de ma destinée. Qu'ils en disposent tout à leur aise. J'aime encore mieux qu'ils me tourmentent sans résistance que d'être forcé de penser à eux pour me garantir de leurs coups. (8ème promenade)
  • Est-il une jouissance plus douce que de voir un peuple entier se livrer à la joie un jour de fête, et tous les coeurs s'épanouir aux rayons expansifs du plaisir qui passe rapidement, mais vivement, à travers les nuages de la vie ? (9ème promenade)
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