Thérèse Desqueyroux, de François Mauriac (1927)
Relu pour des raisons professionnelles un roman que je connais bien, très bien... Je suis étonnée de voir que, contrairement à la plupart de mes relectures, aucun passage ne me donne d'impression de nouveauté, de redécouverte. J'apprécie peut-être mieux la dextérité dans la construction de Mauriac qui multiplie les analepses qui seront un futur récit et en anticipant les réactions d'un autre personnage, en les réécrivant également...
J'aime beaucoup ce roman, cri de désespoir des scléroses féminines et intellectuelles dans les familles centrées sur l'accumulation des biens et pour qui la religion, comme toutes les institutions, n'est qu'un moyen de se trouver de bonnes raisons de ne pas changer, de reproduire à l'infini ses privilèges sous prétexte qu'ils nous ont été transmis et qu'il faut les transmettre.
Thérèse Desqueyroux est un personnage qui a été préparé par les quelques séances qu'un écrivain ne manque pas de faire dans les assistances des assises : une empoisonneuse. Cette Lucrèce a des mobiles diffus qu'elle peine à rassembler pendant que, bénéficiaire d'un non-lieu, elle retourne vers Bernard, son mari, sa "victime" sauvée in extremis... Elle se concentre sur ses explications, sans penser qu'en réalité, la "sentence" de la justice familiale bourgeoise qu'il incarne est déjà prête. Elle a échappé à la justice de la République, pas à celle de la Famille... Or son drame est métaphysique, quid de la justice de Dieu ?
Citations :
- Non, non ; ce n'était pas cette chère petite idiote, ce ne pouvait être cette couventine à l'esprit court qui avait inventé ces paroles de feu. Ce ne pouvait être de ce coeur sec - car elle avait le coeur sec, Thérèse le savait peut-être ! - qu'avait jailli ce cantique des cantiques, cette longue plainte heureuse d'une femme possédée, d'une chair presque morte de joie, dès la première atteinte (...).
- "Regardez, me disait-il, cette immense et uniforme surface de gel où toute les âmes ici sont prises ; parfois une crevasse découvre l'eau noire: quelqu'un s'est débattu, a disparu ; la croûte se reforme... car chacun, ici comme ailleurs, naît avec sa loi propre ; ici comme ailleurs, chaque destinée est particulière ; et pourtant, il faut se soumettre à ce morne destin commun ; quelques-uns résistent : d'où ces drames sur lesquels les familles font silence."
- La mésentente suppose un terrain de rencontre où se heurter ; mais Thérèse ne rencontrait jamais Bernard, et moins encore ses beaux-parents ; leurs paroles ne l'atteignaient guère ; l'idée ne lui venait pas qu'il fût nécessaire de répondre. (...) Si un cri sincère échappait à Thérèse, la famille avait admis, une fois pour toutes, que la jeune femme adorait les boutades.