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Mots et Images
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  • Ceci est le journal de mes films, de mes lectures, de mes spectacles et, parfois, des expositions où je vais, sans prétention à l'exhaustivité, à la science, ni à l'objectivité. La fusion avec over-blog a supprimé mes "liens amis" et je les prie de m'en excuser. Je suis la première ennuyée...
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31 décembre 2022

Titus n'aimait pas Bérénice, de Nathalie Azoulai (2015)

41_RpURmBaLUne femme nommée Bérénice dont l'amant a décidé de mettre fin à leur liaison pour retourner vers sa femme légitime et leurs enfants ne peut s'empêcher de comparer sa situation avec la célèbre héroïne de Jean Racine, inspiré du récit historique de Suétone sur la Vie de Titus, et dont la rupture est rendue par la formule latine ô combien admirablement concise : Invitus invitam dimisit. Elle s'interroge d'abord sur la vie de Racine, qu'elle appelle Jean, sur la façon dont cet homme dont l'enfance fut instruite et éduquée à Port-Royal la janséniste et la contemptrice des passions et de la mondanité, a pu devenir un peintre aussi vif des passions et un homme aussi ambitieux et dénué de scrupules, du moins en apparence.


Les premières pages, fines comme du gros sel, avec un triangle amoureux où l'épouse légitime est surnommée "Roma", ont failli avoir raison de mon appétence ; elles ont d'ailleurs grandement prorogé la suite de ma lecture. D'une façon générale, les passages les moins convaincants concernaient la narratrice-Bérénice et son amant-Titus ; j'ai eu du mal à accorder la fin et le titre, d'ailleurs.

Mais dès que Jean Racine réfléchit à ce qu'on lui enseigne en tant que futur auteur (sans avoir immédiatement conscience que c'est bien cette posture-là qu'il occupe) autant qu'à ses objectifs d'élève sur le latin, réfléchit au rapport avec le latin, le grec que peuvent continuer à entretenir les traductions françaises, qu'il se lance à corps perdu dans la mémorisation du roman d'Héliodore, livre interdit, comme tous les romans, j'ai fondu. J'aurais voulu écrire ces pages moi-même et peut-être proposer ma propre traduction du célèbre double hypallage Ibant obscuri sola sub nocte per umbram... Plus étonnante mon envie de lire Héliodore, vu comme j'ai voué aux gémonies un autre romancier hellénophone, Achille Tatius, si l'on oublie que j'avais bien aimé Longus. Bah, vu le peu de romans anciens qu'il nous reste, pourquoi ne pas en lire plus de deux ? et retrouver ainsi, tâcher reconstituer le "choc thermique" des jeunes gens de ces temps-là, pris entre les textes chrétiens fondant leur éthique, et les réminiscences païennes antiques censées guider leur langue et elle seulement.

Chacune des étapes supposées des prises de conscience psychologiques, sociales, littéraires de Racine est disposée en couche claire, convaincante, simple et belle, pour ainsi dire naturelle et évidente et l'on progresse dans le récit en allant parfois chercher des images, vérifier une date, une circonstance... Je suis même partie dans mon Lagarde & Michard tant les réminiscences de mes anciennes connaissances me renvoyaient à des livres plutôt qu'à un surf sur internet.

Prix Médicis 2015

Citations :

  • La plaie qui l'a percée siffle dans sa poitrine. Le vers n'exige aucun effort de mémoire tant il est souple, plus fluide que tout ce qu'il a déjà traduit, impossible à oublier. Il se le répète encore et encore. La plaie qui l'a percée siffle dans sa poitrine. La plaie qui l'a percée siffle dans sa poitrine. Sur la pente de l'élégie, Jean vint de faire pour la première fois une foulée de douze pas. Il se demande si l'alexandrin garantit l'excellence. Il n'en sait rien, mais tous les jours qui suivent, il réitère l'expérience et conclut qu'à défaut de chiffrer la beauté, on peut chiffrer la musique.
  • "Le chagrin vous jette dans un courant puissant parce que tous les mouvements de votre coeur visent à ranimer une chose perdue, morte. Il me semble parfois y dépenser toutes mes forces et me retrouver le soir mort à mon tour, exsangue,. Incapable de reprendre la lutte le lendemain. Didon ne disait pas autre chose."
  • [Sa tante moniale] sourit à ses effets tout en lui disant de ne pas perdre l'esprit de sérieux et de respect de Dieu.
    J'ai un grand plaisir à chanter les louanges du Seigneur, répond Jean.
    Je ne parle pas de plaisir mais de respect, mon enfant.
  • Il se souvient du roman d'Héliodore, l'histoire de deux jeunes amants, et quand il s'en récite des passages, il essaie d'y placer le fameux mot, inclination. Chaque fois, pourtant, il se dit que ça ne va pas, qu'il est trop mou, trop délicat, qu'il ne témoigne en rien de ce courant puissant qui pousse les personnages l'un vers l'autre. Et finalement, ce qu'il préfère de la Carte du Tendre, avoue-t-il à Charles, ce sont la Mer Dangereuse et les Terres Inconnues.
    Mais on en dit si peu de choses, ajoute-t-il.
    Les passions n'intéressent personne ici, tranche le marquis.
  • Contente-toi de donner à la vertu de mon Andromaque quelques nuances de gris, ce sera déjà bien ! C'est une manipulatrice et une tueuse d'enfants. Au milieu de ses pleurs, je veux qu'on entende des coups de couteau.
  • Je te dis qu'elle est séduite, qu'Andromaque aime Pyrrhus. Que l'amour se glisse n'importe où, corrompt toutes les puretés.
  • Il a soumis son discours [d'intronisation à l'Académie] à Nicolas [Boileau], et même à La Fontaine pour l'occasion. Il a vu dans leurs yeux briller la jalousie et le dévouement qu'on met dans ce qui revient aux autres et qu'on verrait bien pour soi, le zèle de l'envie, le besoin de transformer le sentiment de l'injustice en gratitude chez l'autre.
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