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12 novembre 2016

Le Monde libre, d'Aude Lancelin (2016)

Le-monde-libreUn homme politique a blogué ce livre et m'a donné envie de le lire. Avant cela, j'ai regardé quelques vidéos et songé que Mme Lancelin et moi-même n'étions probablement pas du même bord mais avions la même conception du journalisme. Finalement, lecture faite, avoir la même conception du journaliste nous fait nous rejoindre sur les opinions également.

Aude Lancelin a fait un cursus littéraire philosophique. C'est une lettrée qui excelle dans la littérature d'idées, et c'est tout naturellement qu'elle est chargée de ces rubriques dans les journaux où elle exercera, Le Nouvel Observateur (à peine camouflé en L'Obsolète) et Marianne. Elle reste assez longtemps prisonnière des propos de façade gauchiste très conformistes, des déclarations d'indépendance et de liberté qui sont faites, tant par ses pairs que par sa direction et par des racheteurs milliardaires. On est acheté, mais on reste libre, bien sûr, c'est du mécénat, pas de la manipulation, encore moins une destruction préméditée de tout ce qui pourrait faire entendre une voix dissidente de ce qu'on appelle encore la social-démocratie.

En réalité, on réécrit vos articles ; on vous les reproche, expression par expression, lors de séances ahurissantes que ne désavoueraient pas les régimes est-européens du XXème siècle ; on assure couvrir votre indépendance pour ensuite vous exclure, vous espionner, vous calomnier jusqu'aux plus hautes strates de l'Etat (c'est la révélation de dernière minute : le président, bien avant la Syrie, le chômage endémique, s'intéresse beaucoup au fait que l'auteur soit la compagne de l'instigateur des Nuits Debout). Je ne pourrais pas rapporter tout ce qui m'a fait bondir, m'a alarmée, m'a indignée ou dégoûtée : le livre entier serait à résumer page après page. Loin d'être seulement une vengeance de journaliste licenciée (rendue à sa liberté étymologiquement), il est un document à ne pas négliger sur ce qu'est devenue notre presse et sur l'urgence de lui rendre son indépendance. Si les trois pouvoirs doivent être bien séparés et que la presse est un quatrième pouvoir, alors il est important que celle-ci non seulement ne collusionne plus avec les trois premiers, mais qu'elle ne soit pas non plus le pantin du plus vieux pouvoir de l'ère humaine, celui de la ploutocratie. Elle est devenue un organe d'endoctrinement, inefficace de surcroît, puisque lectorat de gauche n'est pas dupe et s'en détourne, accélérant sa crise.

Moins politique, mais intellectuellement inacceptable cette étrange coutume des "amis du journal", ces intellectuels et penseurs qui, en échange d'un rond de serviette en or massif dans le journal, musellent toute critique éventuelle de leur oeuvre et pensée par les autres rédacteurs du journal : Bernard-Henry Lévy, Alain Minc ont été extrêmement violents (oh quelle surprise !).

Je n'ai pas aimé les altérations lexicales assez journalistiques comme la "dangerosité" ou "l'entièreté", qui se veulent spécifiques là où, tout simplement on n'ose plus employer "péril" ou "intégralité". Mais, par ailleurs, la qualité de la langue et du style forcent le respect et m'expliquent le Prix Renaudot. Il est rare qu'on ait encore affaire de nos jours à des phrases qui puissent prétendre au titre de "périodes" et qui ne soient pas en même temps complètement ridicules de désuétude.

Citations :

  • Quoique surgi des milieux aisés, ce journal prenait clairement "le parti des pauvres et des opprimés", assurait son directeur de rédaction. Une phrase qu'on ne se lassait pas de relire sans parvenir à trouver un seul exemple concret, une seule lutte ouvrière des vingt dernières années, susceptible de l'étayer. (...) Ainsi Jean Joël n'avait-il, selon lui, jamais eu peur de dénoncer les mesures irréalistes prônées par la gauche radicale comme "piège tendu aux classes populaires". Contrairement à celle-ci, il avait toujours privilégié un réformisme rationnel et responsable. Il était tout à fait possible de voir en cet habitué des fastes royaux de Marrakech un authentique défenseur des prolétaires. Un frère des ouvriers à travers les âges, et même un protecteur des humbles face à leurs faux amis bolcheviques.
  • La médiocrité elle-même faisait partie du programme. Trop de conviction nuisait, et vous désignait comme suspect, ainsi qu'Alexandre Zinoviev l'avait montré dans Les Hauteurs béantes, chef-d'oeuvre paru il y a tout juste quarante ans, et qui désossait l'entièreté du système soviétique.
  • Nous étions en fait revenus à l'Union soviétique des années 70. Toutes les balances étaient faussées. La réalité fastidieuse du travail nullement récompensée. Par une intime compréhension du système, le directeur de la rédaction en était même venu à inventer le plus redoutable moyen pour zombifier un collectif entier : la réunion perpétuelle.
  • Cela faisait deux ans que j'en avais la certitude. Ce gouvernement férocement libéral, quasi extrémiste dans son acharnement à ignorer la volonté du peuple qui l'avait porté au pouvoir, allait un jour s'en prendre aux lois protégeant encore stoïquement le travail contre le capital dans ce pays. (...) Habiles à faire passer pour archaïsme sentimental de légitimes demandes, les lieutenants du capital avaient cette fois décidé de pousser leur avantage aussi loin que possible en s'appuyant sur un gouvernement prêt à tout solder. Ainsi (...) le noir souci de la précarité se voyait-il désormais repeint en expérimentation de nouvelles libertés, l'insécurité généralisée en bienfaisante fluidité, et la location de ses propres draps en libre entreprenariat.
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