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5 décembre 2021

Amkoullel, l'enfant peul, d'Amadou Hampâté Bâ (1992)

M02868699065-sourceVoilà un célèbre livre publié chez un de mes éditeurs préférés et qui éveillait bien entendu ma curiosité... Mais j'ai si peu de temps désormais, pour lire, que j'ai tendance à me décourager devant les livres de plus de cinq cents pages qui risquent de me prendre un mois ou plus et diluer mon intérêt à cause des délais entre deux séances de lecture. Mais c'était le moment et l'heure et je suis bien contente de m'être décidée...

L'auteur prévient dès le début que son histoire, rapportée à la 3ème mais parfois aussi à la 1ère personne, ne sera pas linéaire, qu'elle englobe forcément sa famille dans le sens large qu'on donne en Afrique. Amadou Hampâté Bâ surnommé Amkoullel, à cause de son amitié enfantine avec un grand griot, raconte sa propre enfance. De famille peule, il évolue dans un pays aux multiples ethnies et traditions, avec des complications liées à la présence colonisatrice, autant qu'un problème commun, faisant virer un pays pourtant habitué au multiculturalisme (sans compter la coexistence de l'islam avec les traditions païennes).

Nous voilà donc dans cette Afrique de la fin du XIXème, début du XXème siècle, où l'on adopte des serviteurs, des enfants du premier lit de sa femme, dont le mari est toujours vivant, mais où ses enfants de sang, de bonne grâce, n'hériteront pas et seront solidaires, où le droit coutumier est tempéré par la nécessaire sagesse du roi, où le beau-frère d'un allié peut, sans hésiter, vous offrir toute sa fortune pour financer vos recherches... Générosité extrême, respect des anciens, respect chevaleresque des alliances et de la parole donnée, mais aussi envoûtements comme embûches des méchants, pas d'erreur, me voilà dans un monde qui n'a rien à voir avec celui où je vis : quel voyage ! Une référence m'est très vite venue à l'esprit, c'est "La Mort du Roi Arthur". Cette magnanimité envers l'ennemi ou l'enfant des ennemis, la grandeur de ne pas recourir à la vengeance, ne pas profiter des occasions pour l'accabler et au contraire, reconnaître son mérite et l'élever, tant qu'il n'est pas félon, c'est à s'y méprendre l'ambiance de nos récits médiévaux. Quant aux griots et griottes, les femmes improvisant des chants à la hauteur de psaumes, qui voyagent ensuite, ce sont nos ménestrels chantant la geste des grands hommes ou déplorant les malheurs.

artfichier_813829_5520394_201603044842263Pour finir, la surprise, l'émotion incroyable de voir nommé un parent de mon fils, l'admirable Joost Van Vollenhoven, et de voir rappelé à quel point, en pleine guerre, sous la pression à la fois de ses responsabilités de gouverneur, du racisme qui ne tient pour rien les souffrances de l'Afrique qui avait donné plus qu'assez à ce massacre initié par les Européens, il n'a pas démérité de l'humanisme et de ce qui aurait dû être le rôle d'une nation éclairée comme la France...

Citations :

  • Un jour, le grand conteur, historien et traditionaliste Koullel, qui s'était tellement attaché à moi depuis mon enfance que l'on m'avait surnommé "Amkoullel" (c'est-à-dire "le petit Amadou de Koullel" ou "fils de Koullel"), vint à la maison. Il surprit Diaraw en train de chanter à son petit garçon, âgé de quelques mois, une berceuse en poésie improvisée, comme savaient le faire les femmes à cette époque, et où elle exprimait toute sa tristesse :

Dors mon enfant, dors, que je veille
et attende ton père, que ton grand-père arrêta.
Suis-je veuve ? Es-tu orphelin ?
Nul devin ne saurait nous le dire.
J'ai interrogé le soleil,
les étoiles sont restées muettes?
la lune ne fut pas plus éloquente.
Les obscurités me dirent :
"Nous avons avalé ton mari, Femme, pleure !"
L'aurore de la présence est lointaine,
le bien-aimé est absent.
Thiam, où es-tu ? C'est moi, Tall, qui le demande.

  • "Une femme qui veut sauver son mari ou son enfant est digne d'être aidée. Par moi-même je n'ai ni force ni puissance, je ne suis qu'un brin de paille comme toi, mais puisque tu le désires, je vais prier Dieu de daigner être de ton côté. Quant à toi, il te faut d'abord accomplir un sacrifice propitiatoire : va, de ce pas, habiller des pieds à la tête sept pauvres, sept veuves et sept orphelins, et libère un captif. Puis reviens me voir dans trois jours, ou dans sept jours, quand tu auras tout terminé."
  • Dans ma famille vivait un vieux spahi retraité, Mamadou Daouda, qui avait participé aux campagnes de l'armée française contre l'almany Samory. "Ça ne gaze plus entre Français et Allemands, disait-il. Ça va barder ! J'ai vu comment les "peaux allumées" se battaient contre l'almany Samory, je les connais. Ils vont se casser mutuellement leurs villes et leurs villages. Croyez-moi ça va être un bordel de feu et de sang ! Ils sont tellement savants qu'ils ont réussi à asservir la matière;  ils la font travailler à leur place. Regardez le fer : ils en ont fait leur captif sans âme, mais doué d'une telle force qu'il est capable de travailler plus vite et plus fort que l'homme.
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