Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mots et Images
Mots et Images
  • Ceci est le journal de mes films, de mes lectures, de mes spectacles et, parfois, des expositions où je vais, sans prétention à l'exhaustivité, à la science, ni à l'objectivité. La fusion avec over-blog a supprimé mes "liens amis" et je les prie de m'en excuser. Je suis la première ennuyée...
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Derniers commentaires
Newsletter
16 avril 2022

La plus secrète mémoire des hommes, de Mohamed Mbougar Sarr (2021)

La-plus-secrete-memoire-des-hommesQui est T. C. Elimane Madag, cet écrivain sénégalais, auteur du fascinant et controversé Labyrinthe de l'inhumain, qualifié de "Rimbaud nègre", qui est parti sur les traces de son père réquisitionné pour la guerre en Europe ? La question passionne Diégane Faye, son compatriote de quelques décennies suivantes et, en France, le jeune auteur enquête...

Le récit se fait en plusieurs livres-récits, à travers un groupe d'écrivains africains pour la plupart expatriés en Europe, d'Européens expatriés en Argentine ; à travers l'un de ces regards, celui de l'oncle d'Elimane, le père de Siga D., "l'araignée-mère", on prend conscience de l'acte de déculturation que peut représenter cette fuite d'intellectuels. Romancier, plutôt que conteur ou exégète, n'est-ce pas un métier de Blanc ? Est-ce que toute la rhétorique qui y mène, les schémas narratifs, ne sont pas européens ? Ou est-ce qu'on n'est pas condamné au groupe nominal "Africain romancier" ? Il est intéressant que la période choisie par l'auteur pour le récit de Siga D., qui y ressemble, soit justement celle d'Amkoullel, l'enfant peul, récemment lu, avec quelques péripéties irrésistiblement proches... Puis on a celui d'une poétesse haïtienne exilée en Argentine, on côtoie Gombrowicz... Tous parlent...

Plusieurs livres, plusieurs récits, plusieurs voix, polyphonies intimement intriquées au point qu'on trouve un procédé narratif très audio-visuel, vu par exemple dans Incendies, de récits du passé ou du présent surimprimés, avec la personne absente présente et vue par l'interlocuteur du conteur, parlant comme se mêlant à la conversation. C'est assez exaltant et soutient fortement l'attention. Mais qui parle ? En quel lieu ? En quel temps ? C'est une question qu'on se pose de page en page et j'ai vraiment beaucoup aimé !

C'est à coup sûr un roman qui restera dans mon palmarès de l'année et qui sera sûrement hissé en tête... La puissance créatrice de Mohamed Mbougar Sarr est impressionnante et j'ai hâte de lire d'autres de ses œuvres.

Prix Goncourt 2021

 Citations :

  • Les vraies métamorphoses ontologiques ne sont pas si nombreuses qu'on le croirait au cours d'une existence. J'en ai connu deux et la lecture du Labyrinthe de l'inhumain ne fut que la seconde. En matière de crise mystique, Pascal eut sa Nuit de feu et Valéry sa Nuit de Gênes ; pour moi ce fut la première nuit d'amour avec Aïda. Jamais personne n'en atténuera la lueur de vérité en moi ; le voile du temps lui-même y échouera. Ce soir-là, je m'étais prosterné dans la lumière et j'avais prêté serment. Je promis la fidélité de mon âme à un être. Je le fis seul.
  • A quelle encre s'écrit le livre dont l'absence forme la prétérition ?
  • La chambre, tu n'y étais pas encore entré qu'elle t'envoyait à la gueule son ventre : l'odeur dans la vieillesse et de la maladie et de la faiblesse du corps dont toutes les pudeurs lâchent lorsque approche la fin. Je n'ai connu mon père que vieux. Je ne l'en ai que mieux haï, comme j'ai haï cette chambre qu'il ne quittait presque plus les dernières années de sa vie. Elle et lui avaient fini par faire corps. Je repense à mon père : avant que son visage d'aveugle apparaisse, c'est d'abord cette odeur que je sens. Je la vois. Je la touche. Elle me saisit les tripes et me les retourne.
  • Ce jour-là, une fois de plus, j'avais parlé sans espoir de réponse. Cela faisait ben longtemps que je n'adressais plus seulement cette question à Mossane. Elle était aussi destinée à Dieu. Mais par dessus tout, elle m'était destinée. Chaque homme sur terre doit découvrir sa question, Marème Siga. Je ne vois pas d'autre but à notre présence ici.
  • Il faut penser à votre avenir. Et ce qui arrive, c'est que ce pays va appartenir aux Blancs. Peut-être qu'il leur appartient déjà. (...) Ils ont eu ce qu'ils voulaient, par la force et par la ruse. On se libérera peut-être, mais pour l'instant ceux qui viennent de Kata maag, de derrière l'océan, sont là. (...) Je ne serai pas là pour voir le jour où ils partiront pour de bon et où on redeviendra ce que nous étions. (...) Peut-être que ce jour n'arrivera jamais et qu'il est impossible de remonter le temps pour redevenir ce que nous étions. Après tout, l'homme ne remonte pas le cours de l'histoire comme certains poissons remontent le cours du la rivière ; il ne peut que descendre vers le grand delta, l'extrémité de son destin, avant de se jeter dans la grande mer. On sera autre chose.
  • On a fait l'amour pour tenter de rattraper un an sans amour. On a fait l'amour en souvenir des nuits d'autrefois. On a fait l'amour pour le banc du square du boulevard Raspail. Puis on a refait l'amour pour constituer des réserves, car il était possible que notre avenir se comptât en éternité d'un silence nouveau.
  • Un internaute, militant radical de BMS, m'avait interpellé sur ma page Facebook. Que penses-tu de tout cela ? Que font les écrivains ? Vous êtes la voix des sans voix ! Pourquoi ce silence ? Ne nous trahissez pas ! Les Blancs parlent de toi en France. Mais toi, que dis-tu pour ton pays ?
    Plusieurs réponses me tentèrent. Porte ta bouche seul et parle pour toi, camarade. J'effaçai. Tous les sans voix peuvent-ils se retrouver dans une seule voix ? J'effaçai encore. Parler pour le groupe c'est toujours trahir les individus. J'effaçai encore. Ta gueule. J'enlevai. Je ne me sentais pas la légitimité de parler pour qui que ce fût. Ma propre parole était déjà trop lourde pour moi-même, et ce n'était pas mon statut incertain d'écrivain qui y changeait quelque chose. Le temps de guides, visionnaires, prophètes, mages, pythies et autres hugolianismes sublimes est passé. Il n'y a plus à dire le chemin à suivre, mais à suivre des anonymes dans ceux qu'ils empruntent, et les y suivre jusqu'au bout (...).

 

Publicité
Commentaires
D
Bonjour DonaSwann, j'hésite encore à le lire et pourtant, j'ai une collègue qui a aussi aimé et qui dit que le roman se lit sans difficulté. Bonne journée.
Répondre
Publicité
Archives
Publicité