Mademoiselle Julie, d'August Strindberg (1889)
Mademoiselle Julie traîne après elle un parfum de scandale : sa rupture complètement inattendue avec le bailli qu'elle devait épouser et, bien avant cela, son éducation digne d'un garçon par une femme anticonformiste qui a refusé, même enceinte, d'épouser le Comte qui était amoureux d'elle, puis s'est résolue à régulariser secrètement tout cela. Pour Strindberg, misogyne même pour son époque, convaincu que son héroïne est : "Victime d'une croyance erronée (qui a saisi même des cerveaux plus forts) selon laquelle la femme, cette forme rabougrie de l'être humain, stade intermédiaire vers l'homme, le maître de la création, le créateur de la culture, serait égale à l'homme ou pourrait l'être, et se développerait en un effort déraisonnable qui la fait tomber. Déraisonnable car une forme rabougrie régie par les lois de la reproduction" ne peut prétendre à rattraper jamais l'homme. Il faut le citer pour le croire.
Pour ce naturaliste, le déterminisme éducatif, social, sexué qu'elle porte sur elle a la même tonalité tragique que chez Zola, par exemple : elle est condamnée pour ce qui serait permis à tout autre qu'elle. Ainsi par exemple, les amours ancillaires peuvent la faire déchoir...
Mademoiselle Julie est folle, la déclaration est sans appel, dans les bouches des domestiques. Elle tient mal son rang de fille de Comte, elle a des comportements libres qui sont déplacés, et elle est dans la provocation de celle qui croit se permettre tout à cause de son rang social, sans percevoir que la révérence qui lui est due l'oblige... Elle va tomber dans le piège que Strindberg croit inévitable chez une "demi-femme", l'incapacité à se dominer et à vouloir ce que son sexe veut et à déchoir... Piège aussi des poncifs du romantisme qui persistent et qui font rêver d'absolu pour se retrouver avec le prosaïsme, voire la souillure, le plus affreux. Sous la plume-pinceau de Strindberg, qui est aussi un peintre expressionniste, les images-symboles, que son traducteur et commentateur Régis Boyer appelle des icono-moteurs, je crois, parsèment la pièce et préviennent de son dénouement.
Évidemment, la pièce a tout pour me déplaire dans la thèse misogyne qu'elle véhicule, mais ces fameuses images proleptiques et cette version des maîtres-valets au théâtre qui, pour moi, renouvellent le thème, valaient la peine d'être connues. D'ailleurs, Strindberg ne donne pas le beau rôle à Jean. J'ai irrésistiblement pensé, à cause de cette fascination, adulation-mépris, des serviteurs pour leurs maître, aux Bonnes. Je n'ai pas trop aimé l'interprétation essentialisante de Régis Boyer avec ses répétitions ad nauseam de "la Femme" que serait Julie pour Strindberg : il me semble, en toute modestie sur une oeuvre que je lis pour la première fois, en traduction qui plus est, que l'auteur lui-même la traite de demi-femme à cause de son éducation de garçon et des mauvais exemples auxquels elle a assisté.