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Mots et Images
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  • Ceci est le journal de mes films, de mes lectures, de mes spectacles et, parfois, des expositions où je vais, sans prétention à l'exhaustivité, à la science, ni à l'objectivité. La fusion avec over-blog a supprimé mes "liens amis" et je les prie de m'en excuser. Je suis la première ennuyée...
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25 juin 2023

Les Caractères ou Les Moeurs de ce siècle (V à XI), de La Bruyère (1688)

9782091512242J'ai intégralement lu cette oeuvre au cours de l'été 1992, et je l"ai reprise depuis par morceaux choisis, au gré de mes objectifs d'enseignante.  C'est encore l'inscription de cette oeuvre au Baccalauréat qui m'incite à la relire intégralement sur les livres au Programme seulement (V à X pour le Bac Général, XI pour le Bac Technologique) : l'an dernier, quelque chose me disait qu'aucun élève ne la choisirait en deuxième partie d'oral (et effectivement), mais je ne veux pas courir le risque d'en avoir des souvenirs moins frais qu'une jeune intelligence qui pourrait le choisir cette année... Nous sommes nombreux, nous les professeurs de Lettres, à être enchantés par cet auteur, son don pour le portrait, concis ou prolixe avec la finesse qu'il faut pour être satirique ou psychologue. Sur ce dernier point, nous n'entendons pas cela dans le sens contemporain, car l'origine du comportement, voire de la névrose, n'est pas analysée.

Livre V : De la société et de la conversation

Un ravissement et un amusement évidents : reconnaître les autres (je vitupérais contre Théodecte encore la semaine dernière)... Se reconnaître soi-même, peut-être, dans l'un des portraits (Il y a un parti à prendre, dans les entretiens, entre une certaine paresse qu’on a de parler, ou quelquefois un esprit abstrait, qui, nous jetant loin du sujet de la conversation, nous fait faire ou de mauvaises demandes ou de sottes réponses, et une attention importune qu’on a au moindre mot qui échappe, pour le relever, badiner autour, y trouver un mystère que les autres n’y voient pas, y chercher de la finesse et de la subtilité, seulement pour avoir occasion d’y placer la sienne.) est plus amer, mais incite à s'en corriger à la première occasion. Un point commun que je vois dans tous les portraits ou toutes les dénonciations de La Bruyère sont tous les enjeux de domination qu'il y a au cours d'entretiens qu'ont les personnes que fréquente La Bruyère dans les salons, à savoir des aristocrates et éventuellement des bourgeois. Je crois toutefois certaines des situations et des personnages évoqués transposables dans d'autres classes : ceux qui croient tout savoir, ceux qui ont besoin de s'approprier la part des autres, à table, à la conversation..., ceux qui vous tiennent la jambe ou vous trouvent indignes de leur attention...

La Bruyère passe en revue les affectations, les snobismes, dont certains ont disparu. Certains ont tellement disparu que je peine à imaginer de quoi parle La Bruyère au [71] : est-ce qu'on pourrait le comprendre par les mots à la mode, le verlan ? Non, puisque ce que paraît reprocher l'auteur à "ces choses froides", pleines de "fadeur et de grossièreté" semblent plutôt tenir au sujet qu'au vocabulaire.

J'ai connu des Hermagoras, moi aussi, au moins une, tellement perdue dans les anacoluthes de la Guerre du Péloponnèse et dans ses aoristes 1 et 2 qu'elle ignorait toujours, deux ans après, que le mur de Berlin était tombé. Enfin, un contrôle d'identité à l'entrée de la Faculté des Lettres en janvier 1990 lui permit d'apprendre qu'une guerre contre l'Irak était imminente.

J'ai aimé le portrait en mouvement, presque un tableau, de Nicandre courtisant Elise (V, 82) : il est bâti comme une énigme mais la pointe finale, comme dans une épigramme, nous informe de ce qu'il fallait en penser... Je n'en dis rien, pour vous inciter à aller le lire.

Livre VI : Des Biens de fortune

Les préjugés liés à la fortune sont particulièrement explorés. L'argent mène à tout et obtient tout, sauf l'estime des sages, semble dire La Bruyère. On sourit amèrement des portraits pré-capitalistes qui y sont faits : Ergaste, Criton, ont fait des petits...

Mais La Bruyère a lui-même ses préjugés et reproche aux homines novi ce qu'ils sont avec une hauteur patricienne.

Conventionnelle aussi, cette façon d'élever le mérite personnel, fût-il mal rétribué, au-dessus des biens matériels et de la fierté méprisante que leur possession donne à leurs possesseurs.

Livre VII : De la ville

Je ne retrouve pas mes notes sur le début de ce livre...

Il y fustige les femmes attirées par les hommes de Cour ou d'argent, indépendamment de leur véritable mérite. Les femmes de ville tentent de se faire par pour des courtisanes ; la vanité des fastes et des ostentations du mariage.

Il y dit des choses toujours très actuelles, sinon plus, sur l'ignorance dont certains urbains vont jusqu'à se prévaloir de ce qui les nourrit à la campagne et un mépris de la vie et des métiers de la terre.

Livre VIII : De la Cour

Il en fait le monde de la dissimulation, de l'éphémère, de la vanité, empyrée d'être en réalité médiocres. Leur servilité et leur imitation du roi les déshumanise, il en fait des "singes". Les courtisans ont le sentiment de leur propre importance, parfois partagé mais il ne repose sur rien de concret. La description qu'en fait La Bruyère me fait irrésistiblement penser à la mouche du coche de La Fontaine : "Leur profession est d'être vus et revus, et ils ne se couchent jamais sans s'être acquittés d'un emploi si sérieux et si utile à la République. Ils sont au reste instruits à fond de toutes les nouvelles indifférentes, et ils savent à la Cour tout ce que l'on peut y ignorer : il ne leur manque aucun des talents nécessaires pour s'avancer médiocrement."

La question de la noblesse, de la généalogie, que j'aurais mieux vue au livre IX, y est centrale. La Bruyère persifle, ironise surles coquilles chamarrées et les airs d'importance qui se révèlent vides, sans portée, sur l'envie des médiocres ou des opportunistes.

Livre IX : Des Grands

Après avoir montré comment les Grands sont perçus et reçoivent les autres, La Bruyère montre qu'il s'agit en réalité d'une aristocratie du matérialisme, qui se sent tellement supérieure que tous les autres hommes lui paraissent interchangeables, on peut se montrer ingrat de leurs services et ne pas se soucier de les distinguer ; ils peuvent aller jusqu'à se montrer moqueurs ou légers. Leur mépris déteint sur leurs serviteurs qui traitent les visiteurs avec la même hauteur (je pense soudain avec un sourire à Jules Romains : "A une porte cochère, une espèce de larbin prenait le frais. Ne me parlez pas de ces types-là ! Je leur en veux plus qu'aux riches. Ils font le dernier des métiers ; et même, ce n'est pas un métier ; les riches se servent d'eux comme moi d'une chaise ou d'une brosse à reluire. Et ils se croient quelque chose ! Vous ne serez jamais si mal reçu que par une de ces faces-moches qui sort de vider le pot de chambre.")

Un ton un peu ethnologique pour parler, aux maximes 23 et 24, des usages particuliers des Grands (le choix des prénoms et le mode de vie), mais ce n'est pas le style qui y domine. Il décrira aussi un peu plus loin certaines affectations des Grands, dont la plus odieuse, selon moi, est l'affectation d'humilité, la modestie, qui sont sans danger puisqu'on les priera rapidement de cesser leurs faux-semblants, on leur accordera la part du lion et une place de choix sans qu'ils aient eu besoin de les briguer, alors que, le souligne La Bruyère, une telle affectation perdrait complètement l'avancement de quelqu'un d'extraction plus humble qui s'y essaierait.

Ce qui aggrave la situation, c'est que les roturiers et les plus humbles se vantent de leurs rapports avec les Grands, comme d'une valeur personnelle, on pense à M. Jourdain complètement ébloui de connaître ces bons-à-rien de Dorante et de Dorimène.

Livre X : Du Souverain ou de la République

Le contresens serait de croire à une étude comparée de la monarchie et de la République : il faut prendre ce dernier terme dans le sens d'État. La Bruyère, j'aurais dû m'y attendre, n'ébourriffe guère le personnage ni la fonction du monarque, très vite, il botte en touche en revient aux courtisans, aux Grands coupables de complaisance et d'avidité. Il y a trop de redites de plusieurs passages des autres livres, notamment pour les Grands, et décrit à nouveau les mécanismes de la faveur et de la disgrace. L'apostrophe de la maxime 21 le confirme : "Hommes en place, ministres, favoris..."

Il y aborde tout de même, de façon disparate et superficielle, convenue, les réformes, l'intérêt collectif et particulier, la guerre, les experts autoproclamés en affaires extérieures.

Je me suis beaucoup ennuyée en lisant cette section.

Livre XI : De l'Humain

Un peu déçue par celui-là qui ne tient pas, pour moi, ses promesses d'étudier l'humain détaché de ses accidents sociaux : j'ai beaucoup retrouvé du livre V et du VI, puisque ceux-là aussi, au-delà de leur thématiques propres, rejoignent les thèmes généraux de l'amour-propre et de la vanité. De façon "spiralaire" (je reprends l'acception courante de l'adjectif, tout en ayant du mal à voir le lien avec une spirale...), La Bruyère va passer des remarques générales sur le vice et l'humeur, aux fautes, puis au besoin d'être estimé qui dépasse la modestie, d'avoir de l'esprit ou non, de s'en servir ; enfin, la fin de vie, les égoïsmes, la vie provinciale, la nécessité d'être philosophe, les affectations, tout cela m'a donné une impression de déjà-lu.

 Citations :

  • [32] IV La politesse n'inspire pas toujours la bonté, l'équité, la complaisance, la gratitude ; elle en donne du moins les apparences, et fait paraître l'homme au dehors comme il devrait être intérieurement.
  • V [32] L'on ne peut aller loin dans l'amitié, si l'on n'est pas disposé à se pardonner les uns aux autres les petits défauts.
  • V [75] Cydias s'égale à Lucien et à Sénèque, se met au-dessus de Platon, de Virgile et de Théocrite ; et son flatteur a soin de le confirmer tous les matins dans cette opinion.
  • VI [35] (...) Je découvre sur la terre un homme avide, insatiable, inexorable, qui veut aux dépens de tout ce qui se trouvera sur son chemin et à sa rencontre, et quoi qu'il puisse coûter aux autres, pouvoir à lui seul, grossir sa fortune et regorger de bien.
  • IX [34] Je sais que les Grands ont pour maxime de laisser parler et de continuer d'agir ; mais je sais aussi qu'il leur arrive en plusieurs rencontres, que laisser dire les empêche de faire.
  • IX [56] L'on doit se taire sur les puissants ; il y a presque toujours de la flatterie à en dire du bien ; il y a du péril à en dire du mal pendant qu'ils vivent, et de la lâcheté quand ils sont morts.
  • X [21] Ayez de la vertu et de l'humanité, et si vous me dites : Qu'aurons-nous de plus ? je vous répondrai : De l'humanité et de la vertu.
  • XI [76] Nous cherchons notre bonheur hors de nous-mêmes, et dans l'opinion des hommes que nous connaissons flatteurs, peu sincères, sans équité, pleins d'envie, de caprices et de prétentions : quelle bizarrerie !
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