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Mots et Images
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  • Ceci est le journal de mes films, de mes lectures, de mes spectacles et, parfois, des expositions où je vais, sans prétention à l'exhaustivité, à la science, ni à l'objectivité. La fusion avec over-blog a supprimé mes "liens amis" et je les prie de m'en excuser. Je suis la première ennuyée...
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29 juin 2011

L'Écriture ou la Vie, de Jorge SEMPRUN (1994)

ecriture_vieVoilà un livre dont j'ai longtemps remis la lecture à plus tard. Par ignorance de qui était l'auteur, le titre me faisait craindre un coupage de cheveux en quatre de type germano-pratin - galligrasseuil que j'ai souvent lu dans les années 90 : dois-je consacrer ma vie à l'écriture ou ne vaut-il pas mieux vivre pleinement (mes cocktails et mes parties de jambes en l'air) ?

En réalité, rien à voir, et je l'ai compris ces dernières années en en étudiant un extrait, et il aura fallu que j'apprenne la mort de l'auteur ce mois-ci pour me décider à lire l’œuvre en question.

Jorge Semprun, un jeune espagnol Khâgneux, scolarisé en France au Lycée Henri-IV et engagé dans la Résistance est déporté à Buchenwald, non loin de Weimar, la ville de Goethe. Cette proximité a un sens. Dans cette période où la vie était celle de la mort, où l'on vivait pleinement sa mort, où l'on mourait de manière si vive, les lettres, la pensée, la beauté de la langue étaient prégnantes. C'est sans doute ce qui surprend le plus quand on lit ce roman. Beaucoup de films sur les camps montraient les hommes et femmes installés dans la survie matérielle, ce témoignage montre que le quotidien était également fait du souvenir de la culture littéraire, philosophique, musicale, cinématographique ; il y avait une bibliothèque, dans ce camp ! Et c'est choquant.

  • mazurkaJ'avais évoqué la beauté pâle et vénéneuse de Pola Negri dans Mazurka, pour introduire le jeune officier aux mystères des dimanches à Buchenwald. Mazurka ? Le film ? Il avait sursauté, ouvrant de grands yeux. J'ai senti qu'il était choqué. Il ne mettait pas forcément en cause la vérité de mon témoignage, mais il était choqué. Comme si j'avais dit une inconvenance. Comme si j'avais commencé ce témoignage par le mauvais bout, à l'envers. (...) Pourtant, j'étais assez satisfait de ma trouvaille. Car n'importe qui aurait pu lui raconter le crématoire, les morts d'épuisement, les pendaisons publiques, l'agonie des Juifs dans le Petit Camp, le goût d'Ilse Koch pour les tatouages sur la peau des déportés.

Semprun évoque essentiellement les derniers instants du camp, l'agonie des derniers morts (Halbwachs auquel il récite du Baudelaire, O mort, vieux Capitaine ! sur son lit de mort), un Juif hongrois chantant le Kadish oublié dans un baraquement rempli de cadavres, et une quantité d'images qui, en fait, reviendront comme des couplets, des refrains, tout le long du récit, une sorte de retour obsessionnel au cours de l'après-guerre, à ces moments, ces morts, ces moments de grâce, ces musiques, au cours de tentatives avortées pour écrire ce qui s'est passé. Le choix est celui-ci : oublier pour pouvoir vivre, écrire pour se souvenir ou se souvenir en écrivant. La question se pose dès la libération des camps :

  • - (...) Le vrai problème n'est pas de raconter (...) c'est d'écouter... Voudra-t-on écouter nos histoires, même si elles sont bien racontées ? (...) - Écoutez, les gars ! La vérité que nous avons à dire (...) n'est pas aisément crédible... Elle est même inimaginable... (...) - J'imagine qu'il y aura quantité de témoignages... Ils vaudront ce que vaudra le regard du témoin, son acuité, sa perspicacité... Et puis il y aura des documents... Plus tard, les historiens recueilleront, rassembleront, analyseront les uns et les autres : ils en feront des ouvrages savants... (...) L'autre genre de compréhension, la vérité essentielle de l'expérience, n'est pas transmissible... Ou plutôt, elle ne l'est que par l'écriture littéraire...

Après de longues années à tenter d'oublier (la métaphore de la neige !), après la mort de Primo Levi, dont les récits lui furent une révélation sur ce qu'il ressentait lui-même, Semprun nous livre ce témoignage unique de ce qu'apporte un écrivain au souvenir.

Citation :

  • Une voix, soudain, derrière nous. Une voix ? Plainte inhumaine, plutôt. Gémissement inarticulé de bête blessée. Mélopée funèbre, glaçant le sang. Nous nous étions figés sur le seuil de la barque, au moment de ressortir à l'air libre. Immobiles, Albert et moi, pétrifiés, à la frontière de la pénombre puante de l'intérieur et du soleil d'avril, dehors. (...) C'était une voix humaine, cependant. Un chantonnement guttural, irréel. Nous restions immobiles, Albert et moi, saisis. (...) Je ne pouvais pas ne pas entendre. J'entendais cette voix inhumaine, ce sanglot chantonné, ce râle étrangement rythmé, cette rhapsodie de l'au-delà. (...) - C'est quoi ? a demandé Albert, d'une voix blanche et basse. - La mort, lui ai-je dit. Qui d'autre ? (...) Ainsi, la mort parlait yiddish.

Les citations de ce roman ne peuvent être faites qu'avec de nombreuses coupures : elles tiennent au style, entrelardés de digressions, de retours en arrière qui prennent parfois des pages entières. Ce parti pris est intéressant.

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