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9 décembre 2011

Alexis ou Le Traité du vain combat, de Marguerite YOURCENAR (1929)

alexisDans une lettre un jeune homme issu de l'aristocratie se confesse à sa jeune femme dont il est séparé. Il lui laisse entendre que, depuis son adolescence, il a des attirances répréhensibles, et que leur rencontre et leur mariage ont été des tentatives pour s'en affranchir...


Un roman court, qui mériterait le nom de nouvelle, assez agréable à lire, et si construit en aphorismes qu'on aimerait tout noter. Je crois bien que je noterai également la préface quelque part, une très belle réflexion sur la difficulté à exprimer "le vice" en littérature sans se retrouver dans des tonalités inadéquates. L'auteur étend ce constat à la vie matrimoniale où règne, dit-elle, la "superstition verbale". Elle la rendra à la perfection dans ce roman, en restant dans l'euphémisme, l'ellipse, le rébus, "(...) l'emploi de cette langue dépouillée, presque abstraite, à la fois circonspecte et précise, qui en France a servi durant des siècles aux prédicateurs, aux moralistes, et parfois aussi aux romanciers de l'époque classique pour traiter de ce qu'on appelait alors "les égarements des sens". (...) Par sa discrétion même, ce langage décanté m'a semblé particulièrement convenir à la lenteur pensive et scrupuleuse d'Alexis, à son patient effort pour se délivrer maille par maille, d'un geste qui dénoue plutôt qu'il ne rompt, du filet d'incertitudes et de contraintes dans lesquelles il se trouve engagé, à sa pudeur où il entre du respect pour la sensualité elle-même, à son ferme propos de concilier sans bassesse l'esprit et la chair". C'est parfois un plaisir de jeu de pistes que d'essayer de reconstituer une anecdote incomplète.

Malgré ce luxe de précaution et l'intention affichée de ne pas confier à sa femme plus de turpitudes qu'il n'est nécessaire, de ne pas la blesser plus qu'il ne le faut, à mesure que le récit avance il se fait plus cruel, semblant être plus précautionneux avec les souvenirs des périodes où elle n'était pas que celles où ils se sont connus et où tout détail se retrouve forcément "miné".

J'ai juste été un peu piquée de ce qu'un passage entier semble extrait de Givre et Sang de Cowper Powys, publié quatre ans avant Alexis : "et les portraits de famille (...) cessaient d'être une présence pour devenir une apparition. Ainsi, la volonté qu'exprimaient ces figures d'ancêtres s'était réalisée : notre mariage avait abouti à l'enfant. Par lui, cette vieille race se prolongerait dans l'avenir ; il importait peu, maintenant, que mon existence continuât : je n'intéressais plus les morts, et je pouvais disparaître à mon tour, mourir, ou bien recommencer à vivre". Je ne peux croire qu'il s'agisse d'une coïncidence, mais ça n'est qu'un seul passage là où c'est le thème central de Givre et Sang.

  • J'ai lu souvent que les paroles trahissent la pensée, mais me semble que les paroles écrites la trahissent encore davantage.
  • On est toujours si peu clair dès qu'on essaie d'être complet !
  • Je suis persuadé qu'il est mauvais de s'exposer si jeune à devoir reléguer toute la perfection de son plus ancien passé.
  • Il y a tant de bonté dans la tendresse des femmes que j'ai cru longtemps pouvoir remercier Dieu. Notre vie, si austère, était froide en surface ; nous avions peur de mon père ; plus tard, de mes frères aînés ; rien ne rapproche les êtres comme d'avoir peur ensemble. Ni ma mère ni mes sœurs n'étaient très expansives ; il en était de leur présence comme de ces lampes basses, très douces, qui éclairent à peine, mais dont le rayonnement égal empêche qu'il ne fasse trop noir et qu'on ne soit vraiment seul. (...) Toutes, je pense, avaient déjà leur amour qu'elles portaient au fond d'elles-mêmes, comme plus tard, mariées, elles ont porté leur enfant ou la maladie dont elles devaient mourir. Rien n'est aussi touchant que ces rêves de jeunes filles, où tant d'instincts qui dorment s'expriment obscurément ; c'est une beauté pathétique, car ils se dépensent en pure perte, et la vie ordinaire n'en aura pas l'emploi.
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