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Mots et Images
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  • Ceci est le journal de mes films, de mes lectures, de mes spectacles et, parfois, des expositions où je vais, sans prétention à l'exhaustivité, à la science, ni à l'objectivité. La fusion avec over-blog a supprimé mes "liens amis" et je les prie de m'en excuser. Je suis la première ennuyée...
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18 janvier 2023

Mémoires de deux jeunes mariées, d'Honoré de Balzac

9782091321233Renée et Louise ont été mises au couvent à Blois et l'une en sort pour épouser, du côté de Gémenos, dans le sud de la France, un ancien soldat de vingt ans de plus qu'elle, marqué par les nombreuses années de souffrance liées à la guerre, Louise n'en est sortie que parce qu'elle y dépérissait, mais elle dérange les plans de ses parents qui avaient de bien meilleurs projets pour sa dot. La première accepte ce mariage, laisse croire à son mari qu'elle partage son amour mais ne veut que son bonheur et mener leur barque, en lui laissant croire qu'il est à l'origine de tout, la seconde n'a pas renoncé à ses rêves de conventines et veut un mariage d'amour où les sentiments autant qu'une admiration réciproque seraient de mise. Terrorisée à l'idée de laisser ouvertement les rênes à celui qui a fait serment de l'adorer, le baron de Macumer, elle le tyrannise et l'enferme dans une sorte de printemps amoureux perpétuel, au sujet duquel la sage Renée la met en garde qu'il ne saurait durer toujours.


Ce roman, dont j'ignorais jusqu'au titre avant que l'Education nationale le mette au programme du Baccalauréat Technologique, est un véritable bijou de complexité psychologique et sociale. Fidèle à sa science notariale, Balzac montre à quel point les filles dépouillées de leur dot pour les rendre moins difficiles et lancer leur fils dans le monde peuvent espérer reprendre la main à travers les hommes, combien l'entregent en faveur de leur mari n'est que la juste compensation de leur soumission au patriarcat et de leur mise en retrait. Il montre donc également la rouerie à laquelle la plus innocente adolescente se voit obligée, à quel point la main-mise, au moins officieuse, sur le coeur, les sens et l'estime de leur mari, doit être leur objectif, à quel point il faut qu'elles se l'assurent avant d'accepter de les épouser. Je parle de rouerie, car j'ai trouvé que la froideur, la condescendance à la limite du mépris dont ces filles de seize ans parlaient d'hommes qui avaient vingt ans de plus qu'elles, les traitant incessamment d'enfants et n'accordant de prix qu'au degré de dévotion et de reconnaissance qu'ils pourraient avoir pour leur union, étaient sidérantes et choquantes. Dire que ce roman passerait de loin pour plus moral que Les Liaisons dangereuses !

Personnellement, je trouve ce roman tellement intéressant par sa complexité, ses ambiguités, et la nécessité de pouvoir faire spontanément la part du psychologique, de l'historique et du social (rendant inévitables et déplorables les simplifications diverses, les fiches de doxa parachutées in extremis, quand la catastrophe et le désespoir des Lycéens seront officiels) que je l'aurais destiné au postbac qui en ferait ses délices. La deuxième moitié du roman peut les aider à faire le tri, mais certains Lycéens auront-ils persévéré jusque-là ?

On voit bien qu'en lui dédiant malicieusement le roman, Balzac estime mettre une pierre dans le jardin féministe de George Sand. Tout en faisant les nuances et concessions nécessaires, car il ne nie pas qu'une femme ne se sacrifie dans le mariage du Code Napoléon, il veut démontrer qu'elle ne pourra de toute façon pas espérer mieux en s'affranchissant de ces sacrifices et conventions et qu'elle a même toutes les chances de tout perdre, avec ses prétentions à l'amour romantique où la femme se voudrait maîtresse ou alpha et oméga du couple. Cependant, il force le trait, il triche, il exagère et qui pourrait oser dire et même répéter sérieusement, comme une loi de la nature (alerte divulgâcherie) que Louise a tué son premier mari par ses caprices ? Ça s'éteint donc like a candle in the wind, ces barons espagnols, quand leur tyrannique épouse ne leur fait pas d'enfant et les surveille comme le lait sur le feu ?

Pour le reste, je reconnais que les échanges ont quelque chose de palpitant, qu'il y a, malgré tout ce didactique, un accent de vérité dans la relation entre les deux épistolières, dans la façon dont elles réagissent ; il y a même des instants où le lecteur lit la lettre comme si elle lui était adressée par une amie. J'ai songé, à une certaine lettre de Louise, comme aurait pu le faire Renée : "... Oh, zut, elle n'a pas pu rester tranquille... Qu'est-ce qu'elle a encore combiné ?..." C'est tellement vivant et agréable !

Citations :

  • Vraiment, il y a dans ce concert de désirs et d'admiration une si constante satisfaction de la vanité, que maintenant je comprends les dépenses excessives que font les femmes pour jouir de ces frêles et passagers avantages. Ce triomphe enivre l'orgueil, la vanité, l'amour-propre, enfin tous les sentiments du moi.
  • Sache surtout moins s'il t'aime que si tu l'aimes : rien n'est plus trompeur que le mirage produit en notre âme par la curiosité, par le désir, par la croyance au bonheur.
  • Mon ange, quand cet homme sera sans forces, quand il aura trouvé la satiété dans le plaisir, quand il se sentira, je ne dis pas avili, mais sans sa dignité devant toi, les reproches que lui fera sa conscience lui donneront une sorte de remords, blessant pour toi par cela même que tu te sentiras coupable. Enfin tu finiras par mépriser celui que tu ne te seras pas habituée à respecter.
  • Rome est la ville où l’on aime. Quand on a une passion, c’est là qu’il faut aller en jouir : on a les arts et Dieu pour complices.

 

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