Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Mots et Images
Mots et Images
  • Ceci est le journal de mes films, de mes lectures, de mes spectacles et, parfois, des expositions où je vais, sans prétention à l'exhaustivité, à la science, ni à l'objectivité. La fusion avec over-blog a supprimé mes "liens amis" et je les prie de m'en excuser. Je suis la première ennuyée...
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Derniers commentaires
Newsletter
4 août 2023

Non, le masculin ne l'emporte pas sur le féminin (2014) d'Éliane VIENNOT

non le masculinSous-titre : Petite Histoire des résistances de la langue française

Réédition de 2022. Je découvre les éditions iXe... objet-livre très agréable en main, et démarche linguistique intéressante !

Depuis quelques dizaines d'années, mais avec une audience, me semble-t-il décuplée par #metoo, l'écriture inclusive tente de s'imposer, de même que la féminisation des noms de métiers... Assez conservatrice, du fait sans doute de mon métier de vestale (désabusée, la vestale), et intimidée depuis toujours par des règles d'usage et de prononciation que l'institution scolaire n'a pas eu le temps de m'inculquer en totalité, je suis plutôt à l'affût de mes éventuels manquements.

Ce conservatisme, ce purisme finalement, viennent de l'idée qu'"avant résidait le bon français, s'en écarter engendre les fautes". J'aurais dû me méfier un peu plus, vu que je n'ignorais pas, depuis mes études supérieures, que le français avait subi des réformes, notamment au XIVème et au XVIIème siècle, et je ne parle même pas des Grands Rhétoriqueurs car leur fonction a été plus "créative" que proscriptrice. Éliane Viennot est une historienne de la langue française et constate que dénier par purisme la légitimité d'une féminisation de cette langue, ne tient pas : plusieurs des réformes en question furent faites pour la masculiniser : cela prouve bien qu'elle faisait plus de place au féminin que les réformateurs ne le souhaitaient.

Je connaissais beaucoup des exemples (cette oeuvre en regorge) donnés de ces faits de langue féminins combattus et perdus et d'une syntaxe qui a persisté à faire des accords de proximité (comme en latin) très longtemps. Ce livre a ceci de plus qu'il circonstancie les attaques dans l'histoire du pays, celle des régnant.es et celle des élites intellectuelles et, ce que je trouve stupéfiant, c'est qu'en dehors de la régence d'Anne d'Autriche (à cause de la nécessité de justifier la monarchie absolue via la Fronde), j'ignore tout de ces moments où des reines se sont retrouvées à la tête de royaumes et de ce qui sont actuellement des régions. Cela engendra la promotion intellectuelle et artistique de femmes, tellement puissante qu'elle a aussi entraîné des mouvements de réaction masculiniste dans la clergie. Outre des ostracismes actifs, ôter du langage les réalités qu'on ne veut pas voir ni penser, le masculinisme des siècles passés avait déjà sa LQR. Cette masculinisation a touché la syntaxe, donc mais aussi le lexique ; celui qui faisait le plus peur à la clergie : aucun clerc n'avait peur de la concurrence d'une boulangère, en revanche, une philosophesse, une écrivaine ou une autrice (mots attestés dans la langue française dans les siècles passés), c'était inadmissible, ridicule, inconcevable donc interdit de l'écrire et de le dire, comme une impropriété.

Je pensais que ces usages avaient immédiatement été suivis au moins par les clercs et je découvre qu'en réalité, c'est l'école obligatoire de 1830 puis de la fin du XIXème pour les filles, qui a verrouillé cette masculinisation de la langue française, qui peinait à véritablement s'imposer à tous. C'est donc un usage bien plus récent que cela...

Donc si l'argument d'aller vers d'une langue éthique, inclusive, plus juste n'intéresse pas nos conservateurs, écouteront-ils l'argument du retour à un français ancien bien plus inclusif qu'il ne l'est aujourd'hui ? (j'irais bien jusqu'à faire l'analogie avec la pseudo-tradition de torréer de malheureux bovins entiers qui est bien plus récente qu'on ne le croit et qui va contre le désir de la majorité des Français, mais je m'abstiendrai)

Émission avec Éliane VIENNOT sur Binge Audio : "Masculin neutre : écriture exclusive"

Citations : On a envie de tout noter... je préfère vous conseiller de le lire !

  • Les académiciens qui ont modifié le français, avant d'inaugurer la litanie des "Ne dites pas... mais dites...", n'avaient pas en ligne de mire le vulgum pecus. Ceux des temps modernes ne s'en soucient pas davantage, bien que ledit pecus ait fait irruption dans le paysage depuis longtemps. Plus la langue est compliquée, plus elle comporte d'illogismes, et plus il y a besoin d'experts - ou de pseudo-experts - pour observer les entrailles de la bête et prescrire ce qu'il convient de faire. Depuis quelques années, les sites prescrivant "le bon usage" se sont multipliés. La rubrique "Dire, ne pas dire" de l'Académie française n'est plus qu'une parmi d'autres. A cette particularité près qu'elle diffuse des usages archaïques, et qu'elle est - comme le site lui-même et le fameux dictionnaire que personne ne lit - entretenue aux frais des contribuables, par des fonctionnaires qui seraient plus utiles sur d'autres postes.
    Les responsables de l'enseignement public, qui ont en charge l'instruction de millions d'enfants, gagneraient à reprendre le dossier en main. Est-il bien raisonnable de sacrifier le plus grand nombre des élèves sur l'autel du français châtié, pour que quelques centaine puissent un jour épater leurs contemporain.es avec un savoir de cuistres, et quelques dizaines espérer briller aux championnats du monde de l'orthographe ? Non seulement l'État devrait cesser de financer une institution qui se moque allègrement de ses lois (il en existe depuis 1986 sur la "féminisation des titres", et depuis 2000 sur "l'égal accès des femmes et des hommes" aux fonctions supérieures), mais il serait grand temps qu'il revienne sur les complications semées à loisir dans notre langue depuis quelques siècles. Autrement dit, il est temps que les choses se passent en France comme dans les autres pays de langues romanes, et qu'on y écoute les linguistes qui appellent depuis des décennies à ces réformes.
  • On l'a vu, la masculinisation de la langue a maille à partir avec cet élitisme, notamment pour ce qui concerne le lexique : des cohortes d'académiciens sont descendus dans l'arène pour interdire autrice, avocate, écrivaine, médecine, magistrate, ministre, présidente..., mais aucun n'a jamais contesté coiffeuse, crémière ou assistante... métiers bons pour les femmes. Celles qui occupent un poste de direction dans une université ou une administration sont-elles conscientes de ce biais de classe lorsqu'elles déclarent : "Ah non, moi, je suis directeur ! Directrice, ça fait directrice d'école ! " Ou bien " Ah non, moi je suis maître de conférences ! Maîtresse, ça fait maîtresse d'école !" Que leur ont donc fait les maîtresses et directrices d'école, à part leur permettre d'arriver où elles sont ? Ces métiers seraient-ils si méprisables ? Les femmes qui les exercent le seraient-elles ? Pourquoi soutenir le point de vue de gens qui n'ont toujours pas avalé ce qu'il fallut des siècles pour imposer : que les filles aussi soient instruites ? Que des femmes aussi puissent enseigner ?

 

Publicité
Commentaires
Publicité
Archives
Publicité