Le Grand retour de Boris S., de Serge Kribus
J'avais lu la pièce Le Grand retour de Boris S. dans l'édition Actes Sud/Papiers et cela avait été un grand plaisir et beaucoup d'émotion. Comment la pièce n'aurait-elle pas brûlé les planches ?
Théâtre de Fontblanche, Vitrolles.
Mise en scène de Jean-Claude NIETO.
Affiche d'Eric TOURNAIRE.
Boris Spielman : Albert ...?
Henri Spielman : Guillaume ...?
L'HISTOIRE
Un père, Boris Spielman, comédien de profession à la retraite, débarque chez son fils qui vient de se séparer de sa femme et se trouve sur le point de perdre son travail. Il doit répéter Le Roi Lear au débotté et ne sait où dormir. Il se fait une fête de cette cohabitation, mais les heurts surviennent immédiatement avec son fils...
MON AVIS
Une très belle pièce, entre l'émotion et le rire, qui donne une grande impression de vécu dans les dialogues. Les thèmes abordés sont bien évidemment la communication en famille et particulièrement entre un père et un fils, cette façon de se chamailler au lieu de se dire l'essentiel, mais aussi un certain port (ou refus de port) de la judéité aujourd'hui, la souffrance tue de la génération qui a connu la guerre, la pudeur...
Les décors, en sobriété : la structure et les reliefs seuls importent. La lumière aide à faire prendre conscience du temps qui passe, point. Le choix des costumes est assez inattendu : le père, qui a été comédien une bonne partie de sa vie, est habillé d'une façon un peu désuète, comme une sorte de Buster Keaton âgé, le fils est plus juvénile que la pièce paraissait le dire mais s'attachant au métier du rôle (dessinateur) table sur l'"adulescence" : cheveux blonds mi-longs, comme un Kurt Cobain propre sur lui et jean's-T-shirt.
Après le monologue du début, difficile à froid tant il est chargé d'émotion, le fils va occuper les dialogues et l'espace, gagnant peu à peu un naturel qui émeut. Le père est un père enfantin qui voudrait protéger mais demande peu à peu l'amour qui lui manque, maladroit dans sa volonté d'être là : Albert joue à merveille la contrition et la surprise peinée requises par le rôle, sans surjeu ni cabotinage, et ce qui aurait pu passer pour une invraisemblance (comme le lui reproche son fils, il est complètement dépassé, y compris sur son propre terrain, le théâtre) passer alors comme une lettre à la poste. Les deux acteurs nous mènent parfois aux larmes.
Mon regret est une modification dans le texte pour le bien de la mise en scène (et sans doute du budget), qui a causé quelques dommages : afin de garder un décor unique, la sortie au restaurant (le retour dans la rue et l'incarcération au poste) est annulée au profit d'une petite dînette dans l'appartement du fils. Cela change un peu la portée des paroles du fils ensuite : après tout, ce dernier avait demandé à son père de s'épancher, lui reprochant de ne jamais lui avoir confié ses douleurs. L'alcool et l'intimité recréée aidant, celui-ci "se lâche", mais le fils lui répète "Arrête, papa !" trop peu de temps après lui avoir réclamé des confidences. Ces cris "J'ai souffert !" s'exposent à une censure qui s'expliquerait mieux par le désir de ne pas attirer l'attention des tables voisines (en se levant de table et faisant des grands gestes) que par inquiétude pour les voisins de l'autre côté de la cloison. Mais pourquoi pas un huis-clos, après tout.
Voici un extrait joué par la Compagnie Marin.