La Mort d'un juste, de Jacques Chessex (1996)
Le narrateur, Aimé Boucher, est un théologien réputé, auteur clandestin d'un recueil poétique intitulé La Sainte Cène, où il narre ses repas érotiques pris sur le corps de ses maîtresses. Sa volonté n'est pas blasphématoire, il associe ses plus anciennes émotions affectives et sensuelles à sa passion infinie pour Dieu et la religion catholique, ce qui justifie ses intentions, mais ce n'est pas ainsi qu'il est perçu. D'ailleurs, malgré le pseudonyme, il est vite découvert comme l'auteur du recueil, et cela fait d'autant plus scandale que ses maîtresses sont mortes, officiellement suicidées...
Il est poursuivi dans sa retraite dans un institut pour auteurs âgés par Elena de Berg, amie d'Anne Bon, sa dernière maîtresse, qui cherche des preuves compromettantes contre lui, pour démontrer qu'il était responsable des suicides...
Contrairement aux apparences, il ne s'agit pas du tout d'un roman policier, même si le suspense est immense et si nous dévorons avec fièvre les pages, à la recherche du fin mot que le narrateur ne nous livre pas. Nous jouons à cache-cache avec un homme intelligent, naïf, sincère et secret, aimant et dangereux, qui finit par apprendre beaucoup plus sur lui-même au fil des pages qu'il ne l'aurait cru. Il parvient, rêve de chacun d'entre nous, par finir par comprendre comment il est perçu par les autres et cela le sort de la paix innocente dans laquelle il a toujours traversé les vissicitudes des choses. Chessex, que je ne connaissais pas, écrit admirablement bien et parvient à filer sa métaphore du repas amoureux avec talent, alors que j'attendais les pires lourdeurs et que ce genre de sujet me met plutôt mal à l'aise.
Citations :
- Qu'est-ce qu'un corps ? Je ne le possède pas, je ne le catalogue pas. Je ne l'enferme pas. Je suis nu comme l'ermite dans sa thébaïde ou le méditant dans sa cellule, et cet autre corps est survenu devant moi, il a laissé tomber ses vêtements, il s'est dépuillé de ses idées, de ses angoisses, des souvenirs qui lui collaient à la peau. Il s'est couché devant moi et il s'est ouvert, aussi pur et détaché de tout lien au monde que le pain et le vin de l'autel. Maintenant te voilà dans ta nudité, corps élémentaire, seule nourriture. Et c'est en toi que je vais reconnaître le Visage où je trouve ma première part d'éternité.