Les Sangs, d'Audrée Wilhelmy (2013)
Féléor Rü est l'héritier d'une famille richissime, qu'il contribuera lui-même à enrichir dans de telles proportions que, quand les bruits commencent à courir qu'il tue ses femmes, et même quand des témoins peuvent l'affirmer, l'impunité lui est acquise. Sa première victime est indirecte, Mercredi Fugère, fille de son précepteur ; elle écrivait un journal qu'il lisait en cachette ; elle affirmait vouloir mourir, et meurt, effectivement, dans un accident. C'est le point de départ d'une manie : ses femmes doivent écrire, consentir et mort sera dispensée par ce Barbe bleue. Ainsi suivons-nous ces femmes si dissemblables à travers leurs écrits, Mercredi, Constance, Abigaëlle, Frida, Phélie, Lottä, Marie... Elles revendiquent une différence ou au contraire la continuation de cette tradition conjugale.
Je n'ai pas compris tout de suite ce qui se passait : commencer par Mercredi, petite mythomane, et avec Féléor encore jeune et pas encore l'Ogre qu'il sera, mais déjà lecteur de Sade, n'était pas bien clair. Au bout de 45 pages, je me décide à lire la quatrième de couverture, et les choses ont pris sens : pastiche romancé du conte de Barbe-Bleue, OK.
C'est un roman parfois érotique, souvent répugnant de sadomasochisme, dérangeant mais fort bien écrit. J'ai apprécié que, malgré la nécessité de structures pour rendre le côté serial-killer (description faite par Féléor + journal de la femme + conclusion de Féléor), l'auteur affranchisse les personnalités, et parfois les événements, du cadre prévu.
Citations :
- Mon Général,
C'est depuis que je me suis remariée que je réalise combien vous étiez bon amant et combien vous saviez me faire frémir en quelques gestes à peine. Il semble que Féléor soit encore trop jeune pour prendre une femme convenablement. Quand un de ses gestes m'émeut, c'est tellement inattendu que j'en reste sans voix, ou alors je le félicite à n'en plus finir. Vous me trouveriez ridicule, à le gâter ensuite comme on récompense une otarie qui passe dans un cerceau. (Constance) - Je ne comprends toujours pas pourquoi tu m'as mariée. Une grosse veuve ni riche ni belle avec sa progéniture encore sur les bras : personne ne veut plus des femmes comme moi de nos jours, sinon les pauvres qui espèrent à tout prix se sortir de la dèche (...). (Frida-Oum)
- Je n'aimai aucune de mes femmes comme j'aimai [Lottä], dans un élan du corps entier. Mon désir d'elle me dévorait, je me serais damné pour son sexe chaud, rendu brûlant par la fièvre. Souvent, lorsque je la prenais, elle jouait à se débattre, comme habitée par une histoire dont elle seule suivait la trame.