Un Enfant de l'amour, de Doris Lessing (2003)
James Reid est un homme qui a du mal à prendre la mesure du monde qui l'entoure. Un père traumatisé par la Première Guerre mondiale, mutique et acerbe, une mère qui ne s'autorise à être joviale qu'en société ne l'ont guère préparé qu'à se morfondre. Heureusement, par deux fois, il s'éveille. La première fois, c'est à la littérature et au monde des idées par son ami Donald, qu'ill suivra lors de leur mobilisation ; la seconde, c'est par l'amour, aussi idéal qu'il le rêvait, dans la personne de Daphne, une jeune femme mariée qui l'hébergea quatre jours lors de son escale au Cap. De cette brève mais intense liaison naîtra un enfant que James ne peut connaître mais qui nourrira tout son imaginaire, de même que tous ses rêves d'amour. Un jour, désireux de se confronter à la réalité, James prend l'avion pour le Cap avec ses souvenirs pour tout viatique...
Un très beau roman, aux antipodes du caractère du héros. Doris Lessing nous enseigne ce qu'est une traversée, la vie des soldats en partance pour les Indes pendant la Deuxième Guerre, les maladies, la douleur physique mineure mais prégnante, la lucidité. Et que dire de la douleur morale du bore-out ? James passerait pour un privilégié à côté de tous ceux dont la guerre a autrement plus dérobé ou détruit la vie ; en réalité, il a l'impression que tout lui passe quand même sous le nez. J'aime beaucoup le style de Doris Lessing, qui a reçu le Prix Nobel de Littérature 2007, sans ostentation d'aucune sorte, et pourtant fort, plein de la lucidité que James n'a pas. Tout en ayant l'air de coller à l'événement, elle a réussi à écrire des pages (discrètement) magnifiques sur la beauté et l'horreur de la mer. Le destin de James, qui pourrait être un nobody, est captivant dès le début.
Citations :
- James était un jeune homme grand et mince, vif, rapide, tout élégance et nervosité. Il avait le nez fin, une belle bouche, large, en arc, trop souvent pincée par la tension de la détermination. Ses yeux étaient grands, d'un bleu lumineux, et ses cheveux châtain clair et brillants. Il avait les sourcils délicats et luisants, l'allure soignée d'un animal en bonne santé. Mais, après avoir enfin revêtu l'uniforme, il devint terne et emprunté.
- - Vous voyez, articula-t-il, je ne vis pas ma vie. Ce n'est pas ma vraie vie. Je ne devrais pas vivre comme je le fais.
- Il lui passa un bras autour des épaules et l'attira contre lui par gratitude pour sa tendresse, sa loyauté, son amour. Mais au fond de lui-même, secrètement, cruellement, il pensait : "Si on peut appeler ça de l'amour..."