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13 juillet 2020

La Vie d'Agricola, de Tacite (98 de notre ère)

61rH0HTbXhLAgricola était le beau-père de Tacite qui n'avait pu lui rendre l'hommage funèbre qui lui était dû et saisit l'occasion de cette biographie pour le faire. Nous sommes sous Trajan et l'affreuse période du règne de Domitien a laissé des plaies durables dans les mémoires. Le récit prend alors la fonction d'un contrepoint aux vices triomphants d'un empereur et de ceux qui l'ont complaisamment assisté par l'exaltation de la virtus d'un homme dont l'éducation, le tempérament, les moeurs, le courage, la probité sont l'idéal romain.

A cet égard, on trouve bien sûr ce que j'appellerais bien le topos du chef militaire, vivant les mêmes dangers que ses hommes, plus de dangers peut-être, endurant, tempérant, gagnant l'admiration de ses hommes et de ses ennemis ; mais nous ne sommes pas dans une fiction alors que je contenterais de redire qu'Agricola est bien un idéal romain, le vieux Romain étant à l'origine un militaire, un patriote faisant passer l'intérêt collectif avant le sien.

J'ai été un peu perdue à un moment donné car Tacite commence bien, selon les modèles du genre, par la famille, l'éducation, la jeunesse, les principaux traits de caractère en début de cursus honorum, puis présente la Bretagne ; s'ensuit un historique, des sortes de chronologies (non datées, comme d'habitude) des chefs qui précédèrent Agricola en Bretagne, que j'ai d'abord pris pour des collègues, ne sachant pas avec quel grade Agricola fut missionné là-bas (bas d'échelle ou tête). Le contrepoint commence donc dès lors : Agricola était bien meilleur que tout ce qu'on avait vu jusque-là dans la fonction. Tacite brosse des tribus braves, exaspérées par les injustices de  prédécesseurs, séditieuses, qu'Agricola va d'abord mater militairement dès le début, en partant les débusquer là où d'ordinaire les Romains ne leur livrèrent pas combat (les hauteurs), en calculant que cela aurait un effet dissuasif sur les autres peuples.

Enfin, il fallait bien s'entourer, mettre les hommes justes aux postes-clés et tâcher de se concilier par un juste exercice du pouvoir, le peuple occupé, lui laisser une porte de sortie qui ne soit pas l'affrontement ; soufflant le chaud et le froid, manipulateur, Agricola avait visiblement l'intention de faire comprendre rapidement aux Bretons qu'ils avaient tout intérêt à consentir à une occupation qu'il voulait bien ganter de velours à condition qu'il fût clair que la main était de fer. J'ai été frappée par le fait que, rompant avec une tradition commencée avec Claude et poursuivie assez longtemps par le pouvoir impérial (reprise d'ailleurs par Trajan), Agricola ne confie pas aux esclaves ni aux affranchis des fonctions où l'on mettrait aujourd'hui un fonctionnaire d'Etat. L'implicite que j'ai cru percevoir est qu'on ne met pas le sort de la patrie entre les mains de gens qui n'ont pas (encore) d'intérêt à la fois matériel et personnel dans l'élévation de cette patrie.

Roman_baths_julius_agricola_01 Ensuite, j'ai trouvé très bien décrites les étapes de la déculturation des Bretons, leur adoption volontaire des us et coutumes romaines les plus agréables et raffinés, jusqu'au port de la toge et ma stupéfaction ravie fut grande de voir que Tacite n'était pas aveuglé par l'ethnocentrisme puisque lui-même fustige la naïveté de ceux (imperitos) qui ont donné dans la manoeuvre consistant à prendre ces usages pour de l'humanitas.

Je dois dire que les quelques récits de batailles, malgré leur intérêt historique et même humain, malgré le pittoresque et le pathétique parfois (chapitre XXXVIII), m'ont pesé.

Lu en édition bilingue latin-italien, l'ordre du latin suivant celui de la syntaxe italienne, ça se lit avec la même facilité sans trop de recours à la traduction italienne, c'est très troublant. Les propositions en notes du traducteur italien vont plus souvent que les miennes vers l'hendiadyn; il en voit partout et ça me paraît assez contestable. Certaines hypothèses de traductions explicatives sont au contraire très fines et intéressantes.

Citations :

  •  Hunc rerum cursum, quamquam nulla verborum iactantia epistulis Agricolae auctum, ut erat Domitiano moris, fronte laetus, pectore anxius excepit. (chap. XXXIX)
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D
On est nombreux à être les Monsieur Jourdain de la rhétorique ; c'est mon explication à la sempiternelle question : "Et vous, vous croyez que Baudelaire (Scève, Rabelais,Genet, Chateaubriand...) l'a fait exprès ?"<br /> <br /> Parfois, "ça vient comme ça", parfois on le retravaille pour que "ça soit comme ça", on ne sait pas toujours le nom dont il faut l'appeler, mais c'est bien comme ça que ça sera nommé. L'essentiel est de l'avoir écrit.
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T
Bonjour<br /> <br /> Hé bien, grâce à vous, j'ai appris ce que c'est que l'hendiadyn (je e connaissais pas, alors j'ai cherché!), que je pratique depuis un demi-siècle et sans le savoir... <br /> <br /> Et si je possède les Annales et les Histoires de Tacite en poche ou GF depuis des décennies, j'ai eu largement le temps d'en oublier la biographie de l'auteur... Spontanément, là, avec ma "culture générale" de tête, je crois que je confondais Agricola et Agrippa, alors que plusieurs décennies les séparent en fait! <br /> <br /> Je vais tâcher de farfouiller dans les "Budé" familiaux voir si le titre y figure, bonne idée, merci!
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