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23 avril 2020

Anna Karénine, tome 1, Léon Tolstoï (1935)

anna-karenine1Dans l'aristocratie russe d'avant la Révolution, l'amour et la bonne chère pimentent l'ennui. Chez les soeurs Stcherbatski, mal conseillées par une mère superficielle et vaniteuse, Dolly (Daria, manie des romanciers russes que de donner au moins quatre noms différents à chaque personnage) est trompée par son époux et doit se résoudre à le quitter, Kitty (Katia, Catherine) la plus jeune, "laisse filer" Lévine qui l'aime sincèrement pour Vronski, lequel ne sait encore guère pour qui il soupire...

Or Vronski va apercevoir Anna Karénine, la soeur de son ami Stepan Oblonski, mari de Dolly, qui vient essayer de raisonner cette dernière. Et là, oubliée Kitty, voilà LA Femme... Elle est mariée ? Ne nous enquiquinez avec ce genre de détails que s'ils ont jamais empêché une femme de céder. Et effectivement, elle cède... Et ça devient assez rapidement notoire. Or les implications pour un homme ou une femme ne sont pas les mêmes.


 Voilà une oeuvre dont je sous-estimais le nombre de pages, avec laquelle j'ai rendez-vous depuis longtemps, par la grâce de l'intertexte : maintes fois vue dans la bibliothèque de ma mère et toujours repoussée au profit d'une autre oeuvre russe, évoquée par Pennac dans Comme un roman (avec l'anaphore apéritive "Ils s'aimaient"), dénigrée par Cohen dans Belle du Seigneur ("Si l'imbécile Vronski avait eu deux livres de graisse sur le ventre...", "C'est bien plus beau que les coups de reins de la Karénine... " approximativement...), et enfin, un jugement de Plisnier dans Papiers d'un romancier : "Et qui a le plus purifié : l’auteur d’une idylle bien rose ou Tolstoï montrant Anna Karénine crucifiée dans son amour et poussée par son dégoût jusqu’à ce désespoir qui n’a point de pardon ?"

J'étais donc prévenue : passion bien viandesque et désespérante, avec une fin tragique. J'ai eu le tort de tenter de regarder une vidéo critique en cours de lecture, qui m'a divulgaché des détails qu'à ce stade j'aurais préféré ignorer et qui explicitait l'euphémisme de Plisnier. Je suis donc retournée à ma lecture qui était, à ma grande joie étant donné que ça fait quand même 900 (600 p+300) de livre de poche !) vraiment très prenante et relativement facile.

D'accord avec "l'imbécile Vronski", de Cohen ; l'avis du papa de Kitty, rapidement confirmé : "c'est un mirliflore" (j'adore !) ; rapidement adopté par moi, ne me fait pas donner cher des suites de la passion fatale d'Anna. C'est avec beaucoup de consternation qu'on assiste à la scène où son mesuré mais maladroit mari essaie de comprendre ce qu'il se passe et qu'elle lui répond avec beaucoup d'insolence et de déni. Quelle erreeeeeeur ! L'incommunication dans cette scène en particulier, mais dans beaucoup d'autres, entre hommes et femmes, où chacun attend de l'autre des paroles précises et où l'on ne parvient même pas soi-même à dire ce que l'on veut dire me paraît quelque chose de notable dans le roman.

Heureusement, Tolstoï, qui connaît son art et son sujet, nous évite écoeurement et claustrophobie en nous sortant rapidement du trio tragique et en s'intéressant à des personnages secondaires dont un couple qui servira de contrepoint, Kitty et Nicolas Levine, qui ont eu leurs mauvais moments aussi.

C'est là qu'on a des pages géorgiques (oh, on dit bien "bucoliques", hein, passez-moi l'épithète antique) où Tolstoï, adepte des Travaux et des Jours russes, prête à Lévine le bonheur de vivre au rythme de la nature, et ce bonheur est communicatif. Honnêtement, certains passages sont assez arides aussi, mais il est tout de même très intéressant de lire ce que pouvait déclarer un hobereau sur les rapports entre le travail et le capital, son incompréhension du rôle que pouvait jouer l'éducation des pauvres (apparemment aumône inutile) dans l'essor du capitalisme.

 

Citations :

  • A la sensation de fraîcheur et de pureté qu'il emportait toujours de chez les Stcherbatski - et qui tenait sans doute en partie à ce qu'il s'abstenait d'y fumer - se mêlait un sentiment nouveau d'attendrissement devant l'amour qu'elle lui témoignait.
  • Le troisième clan était le monde proprement dit, ce monde des bals des dîners, des toilettes brillantes, qui se retient d'une main à la cour pour ne pas tomber dans le demi-monde, qu'il s'imagine mépriser tout en partageant ses goûts.
  • Il savait fort bien que, si un homme pouvait leur paraître ridicule en aimant sans espoir une jeune fille ou une femme entièrement libre, il ne l'était jamais en courtisant une femme mariée, en risquant tout pour la séduire. Ce rôle était beau, grandiose, et c'est pourquoi Vronski, en quittant sa lorgnette, regarda sa cousine avec un sourire de fierté joyeuse qui se jouait sous sa moustache.
  • Chacun pouvait soupçonner sa liaison, nul ne devait se permettre d'en parler : autrement il eût contraint les indiscrets à se taire, à respecter l'honneur de la femme qu'il avait déshonorée.
  • [S]ur son visage Vronski remarqua - seul changement notable - ce paisible rayonnement propre à ceux qui réussissent et qui sentent leur succès.

 

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