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Mots et Images
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  • Ceci est le journal de mes films, de mes lectures, de mes spectacles et, parfois, des expositions où je vais, sans prétention à l'exhaustivité, à la science, ni à l'objectivité. La fusion avec over-blog a supprimé mes "liens amis" et je les prie de m'en excuser. Je suis la première ennuyée...
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12 janvier 2021

L'Amie prodigieuse, tome 3 : "Celle qui fuit et celle qui reste" (2013)

61yIWCrfrhLA ma grande surprise, j'ai encore une fois dévoré ce tome, qui m'a peut-être beaucoup plus parlé que les deux premiers. Le, les pièges dans lesquels s'enferrent les deux femmes, spécialement Lenù, la narratrice sont terribles et il semble, tout d'abord, que seule Lila ait la force, sur les moyen et long termes, de s'en libérer.

Je me suis plusieurs fois demandé si la thèse de l'existence de la "génialité", la Schwärmerei, n'était pas l'invraisemblance particulière de ce roman. Comment Lila, qui professe ne plus lire ni écrire depuis l'enfance, parvient-elle à faire les seuls brouillons qui soient à l'origine des plus talentueux travaux de Lenù ? Comment Lila - à laquelle Elena Ferrante fait habilement souligner elle-même ce paradoxe, serait-elle capable de juger "nul" un roman contemporain d'une ancienne élève de l'ENS ? Essaie-t-elle de nous dire que savoir bien dire et avoir quelque chose à dire ne sont pas la même chose, ni d'égales choses ? J'y suis acquise. Toutefois, Lila a cessé son apprentissage de l'italien châtié dès la fin du primaire. Sans un travail d'autodidacte littéraire (et non pas technique), comment pourrait-elle rivaliser avec une lettrée de ce point de vue-là aussi ?

Ainsi la rivalité entre les deux "amies" ne s'arrange-t-elle pas au fil du temps et devient-elle plus tragique : Lenù pourra grimper l'échelle sociale après avoir arraché les diplômes, collectionner toutes les opportunités littéraires, elle ne sera jamais que la pâle copie de son amie dont tout le monde cerne le potentiel et la valeur après une seule entrevue. Même des hommes, instruits, séduisants, bourgeois, qui n'ont jamais fait qu'entendre parler d'elle, dans son quartier déshérité, la désirent (réitération de la défection de Nino, en pire peut-être !). Médusé, désolé, accablé, le lecteur assiste à la chute ascensionnelle de Lenù qui indispose par sa brutalité les quelques alliés qu'elle s'était gagnés, là où la brutalité (la "méchanceté") de Lila n'a jamais fait que convaincre, séduire !

En réalité, Ferrante ménage un retournement, dans un jeu subtil d'intersubjectivités et une sorte de surmoi narratif discret : et si Lila n'avait que le pouvoir d'inspirer et de réfléchir les qualités de Lenù ? Quand Pietro, le mari dont on moque la balourdise, après avoir paru fasciné pendant des heures par Lila, juge qu'elle n'est pas une amie et qu'elle la déteste, le lecteur (moi, en l'occurrence) s'exclame : "Evidemment ! ça crève les yeux ! elle n'est que haine, vantardise et condescendance, voire mépris ! Qui la garderait comme amie ?" Quand Nino lui-même fait amende honorable, l'autrice change l'éclairage du roman, tout en paraissant nous dire, avec un petit sourire : j'ai d'autres éclairages encore, sachez-le !

J'ai été bluffée par l'incroyable complexité de ces liens, de la psychologie de Lenù elle-même et que j'aie jugé hâtivement une série parlant de femmes dont le succès venait certainement de sa facilité, me fait sourire. On ne peut faire préjugé plus vain ; c'est probablement un des meilleurs romans, série comprise, que j'aie lu depuis longtemps.

Très intéressant aussi, le panorama (légèrement satirique) de l'université à la fin des années 60, et de la presse d'opinion ; la narratrice est une féministe qui a visiblement lu, même si elles ne sont pas nommées, peut-être pour être mieux leur épigone italien, Annie Leclerc et Hélène Cixous ; il est un plus dans cette lecture pour moi.

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