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13 mars 2023

Le Dernier verre, du Dr Olivier Ameisen (2008)

1391169752Voilà un livre de référence indispensable, m'a-t-on dit, pour comprendre le chemin de croix d'un alcoolique qui a pourtant tout en main pour se soigner, puisqu'il est médecin. Il s'agit de l'auteur.

D'attaque panique à peine jugulée par le Valium, les benzodiazépines, etc. en compulsion vers l'alcool, la vie du patient tient de l'enfer d'une maladie orpheline. Les A.A. apportent un grand soutien, les cures proposent des oasis de paix, mais l'avancée vers la marginalisation, perte du travail, perte de l'entourage (encore que l'auteur semble avoir été bien entouré, j'étends son expérience à la plupart des gens), perte de sens, paraît inexorable. De plus, le jugement social sur ces maladies "intempérantes" est moral : si l'on veut, on peut, certains ont pu, c'est donc qu'on manque de volonté, ces jugements détruisent ce qu'il reste d'amour-propre et de confiance en soi, à supposer qu'on en ait jamais eu.

  • Une femme hospitalisée, au bout du rouleau, avait explosé : "Pourquoi est-ce que bon Dieu ne m'a pas donné un cancer du sein [plutôt que l'alcoolisme] ? Au moins mes enfants me rendraient visite !"

Amené à faire les essais du baclofène sur lui-même (les réticences de ses thérapeutes et de collègues lui compliquent la tâche, vu qu'il s'agit d'un usage hors indication officielle - le baclofène est un myorelaxant), et avec des dosages élevés dont il ignore le caractère dangereux ou pas (il apprendra après seulement que le médicament est tout sauf toxique, même à forte dose), il finira par supprimer le craving totalement. Comme lui, je mets le mot supprimer en italiques. Les autres molécules atténuent le craving, elles ont même des effets secondaires dangereux, MAIS elles sont sous brevet... C'est ainsi que quand il parvient, ayant atteint un an de sobriété complète sans effort, à obtenir de chercheurs qu'ils s'intéressent à des essais en double aveugle, ceux-ci finissent par subtiliser le protocole qu'il avait élaboré à la jonction du baclofène avec une autre molécule dont l'inefficacité relative était connue MAIS qui était toujours sous brevet ! Il a l'élégance (ou la prudence) de ne pas en supputer les raisons ; pour moi qui n'ai pas de raisons de ménager l'institution, il me semble que c'est pour que les effets bénéfiques du baclofène soient imputés à une substance rémunératrice pour le labo qui la produit. S'il n'y a pas d'argent à la clé, où trouver les trois cent mille euros nécessaires à l'étude en double aveugle ? Fausser les résultats ne semble pas être rédhibitoire pour certains "scientifiques" ; les bras m'en tombent.

Cette lecture m'a bouleversée à de nombreux égards : elle m'a fait prendre conscience du chemin de croix des alcooliques, qui meurent depuis des siècles sans aucune aide efficace, renvoyés sans cesse à leur manque de volonté appelé "vice", que ce chemin, vu les réticences de ceux qui auraient le pouvoir de les en délivrer, continue à être parcouru d'embûches, que le craving est une maladie contre laquelle aucune psychothérapie ne peut rien, contrairement à tout ce qui m'a été dit depuis des décennies, qu'il coûte des fortunes au patient ou aux organismes de santé, en amont comme en aval. Le récit par le menu de chacune de ses cures, qui m'avait paru superfétatoire, est en réalité un bon moyen de prendre conscience du gâchis et des atteintes au moral du patient comme à celui de son entourage, ainsi que de la dégradation de l'attitude du corps médical, à mesure que leurs "bons soins" échouent immanquablement avec lui.

Citations :

  • On m'avait raconté des horreurs sur [le compte de l'Office of Professional Medical Conduct]. A côté d'eux, un contrôle fiscal, c'était une plaisanterie. J'étais partagé. Une partie de moi-même avait envie de lui dire : "Vous pouvez vous le mettre où je pense, votre permis. Quant à vos enquêtes, je m'en tape pour la simple raison que je n'ai rien à me reprocher. Vous n'avezqu'à chercher, de toute façon il n'y a rien à trouver."
    Alors j'ai répondu : "Je ne peux pas signer sans réfléchir."
    Mon interlocuteur a eu l'air surpris. De toute évidence, mon peu de sensibilité à la menace n'était pas ce qu'il attendait. Pour être certain de m'être bien fait comprendre, j'ai ajouté : "Je m'en moque, dans le fond, de votre permis. Je ne voulais pas venir ici mais j'y suis, et la seule question qui m'intéresse, c'est ma santé. Je me bats pour sauver ma peau. Les AA disent qu'on perd tout ce qu'on fait passer avant son rétablissement. Si dans mon cas, je dois y laisser le droit d'exercer la médecine dans l'État de New York, eh bien tant pis."
  • Comme j'étais l'auteur du premier article rapportant la suppression complète des symptômes de l'alcoolisme dans l'une des meilleures revues au monde, je m'étais attendu à être submergé de courriers, d'e-mails de chercheurs puisque mon article était en ligne. Je pensais que ma boîte postale serait pleine à craquer. Au lieu de quoi, il y a eu un silence assourdissant. Je surveillais mon courrier électronique plusieurs fois par jour et ma boîte postale tous les jours, mais il ne s'est rien passé. Je n'en revenais pas : un traitement qui supprimait littéralement une maladie mortelle ne suscitait pas le moindre intérêt ! J'ai reçu en tout et pour tout un seul e-mail (...).
  • Georges, pourtant de nature réservée, m'a dit : "Ton papier est explosif. La mèche est allumée, c'est une question de temps."

 

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