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Mots et Images
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  • Ceci est le journal de mes films, de mes lectures, de mes spectacles et, parfois, des expositions où je vais, sans prétention à l'exhaustivité, à la science, ni à l'objectivité. La fusion avec over-blog a supprimé mes "liens amis" et je les prie de m'en excuser. Je suis la première ennuyée...
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17 juillet 2023

Genre et identités sexuées chez Colette, sous la direction de Frédéric Canovas et Martine Reid (2023)

27000100603360LNous avons là une série d'articles rassemblés dans la collection "Genre à lire... et à penser" de ces dernières, dont un ou deux ne traitent pas directement du sujet annoncé, mais tous mettent en évidence la "multiplicité des rôles" endossés par Colette et sa croyance dans les masques que nous portons et donc de l'importance des images choisies, offertes ou dérobées.

J'ai rarement l'occasion de lire des publications universitaires et j'ai beaucoup apprécié celle que m'a offerte Babelio et par les Presses Universitaires de Rouen et du Havre : lecture passionnante, revigorante, qui donne envie de "s'y remettre" : les études universitaires me manquent terriblement, ne nous le dissimulons plus.

Les textes Sido et Les Vrilles de la vigne ne sont guère pris en compte dans ces articles, probablement parce qu'ils n'illustrent guère l'angle pris par la collection, les professeurs qui chercheraient donc des appuis théoriques pour l'étude de ces oeuvres au programmes du baccalauréat 2023 et pour trois ans encore n'y trouveront pas directement leur compte. Ils y trouveront cependant une meilleure connaissance de l'oeuvre de Colette, plus profonde que celle qui lui a été le plus souvent attribuée.

Les notes que je fais sous les titres des articles ne sont pas systématiquement des synthèses, mais des points que j'ai voulu retenir. Aucun ne se contredit, me semble-t-il.

Première partie : Signature, genre et genres littéraires, duplicité

"Devenir Colette, histoire d'une signature", de Martine Reid

"Colette, directrice des contes dans le journal Le Martin", de Kathleen Antonioli

Très intéressant : montre Colette dans l'exercice parfois périlleux de directrice de rubrique (les contes) d'un journal. On a au passage un retour de noms du monde des lettres, oubliés, méconnus ou presque et je n'ai pu m'empêcher de les noter, surtout les noms féminins dont je ne connaissais que deux ou trois. Je note aussi quelques noms masculins dont l'univers de Proust m'avait déjà obligée à promettre une exploration. Est-ce que la logique subsumée est qu'elle exercerait une fonction masculine ? car je n'ai guère vu le lien de cet article avec la thématique général du recueil.

Cet article tâche détruire le mythe d'une écrivaine loin des mondanités, forgé au travers d'une carrière de journaliste et de directrice chassant des plumes connues. Il a le mérite de m'offrir une image d'elle que je ne connaissais pas, loin de l'autrice aux jardins et aux chats qui s'est exhibée jadis nue sur des planches.

"Colette dramaturge : écriture et mise en scène de soi", de Corentin Zurlo-Truche

Colette a refusé de théoriser ses productions : "Mes idées générales sur le théâtre, cher Comoedia illustré ! Mais je n'en ai pas, - pas encore." Avait-elle peur de dire une bêtise, d'offrir le flanc à la critique ?

L'article passe en revue différentes pièces inconnues de moi et m'en fait, comme souvent dans ce recueil, naître automatiquement le regret.

Je trouve paradoxal qu'une autrice qui ne se considérait pas comme féministe ait dénoncé la minoration subie par les femmes dans les arts et la littérature tout en cultivant une posture d'essai, d'avance et de retrait, refus d'apparaître comme un bas-bleu et elle préférait cultiver une image d'être original, fantaisiste.

"L'Autre Femme : Colette et le doppelgänger" de Sionainn Ditto

Article qui explore le thème du double chez Colette. Si l'on pense à la tentative que Willy a faite d'opérer à la fois une duplication et une fusion du personnage de Claudine avec sa femme, tout en faisait apparaître ce double littéraire dans la personne de l'actrice qui la jouait et en les exhibant toutes les deux ("il a créé un couple de twins" disait Colette) habillées et coiffées pareillement en ville, cette thématique est déjà validée. Sionainn montre qu'on la retrouve dans différents autres textes de Colette.

"Le Miroir" in Les Vrilles de la vigne : Claudine est donc ce personnage-miroir.

Citation : Ce doppelgänger conduit les héroïnes isolées à plonger dans le doute, puis à se détacher de leurs partenaires qui, dans les cas spécifiques dont je parlerai ci-dessous, agissent et réagissent comme des figures patriarcales dominantes et perturbent la progression des héroïnes. Ce double émerge pour briser, ou au moins ébranler, la dépendance que ces femmes ressentent vis-à-vis de ces figures masculines, et bouleverser aussi ce que Butler désigne comme la performance d'une féminité traditionnelle.

Seconde partie : Reconfigurations genrées

"Quand les hommes s'évanouissent", de Guy Ducrey

Citation : Cette gifle vigoureuse [que Colette avait infligée à une femme évanouie par calcul] montre bien le peu d'indulgence pour la pauvre figure affaissée, et Colette révèle ici l'attitude impitoyable qu'elle adopte en général devant tout signe de faiblesse féminine, cris, pleurs, évanouissements. Elle exalte au contraire avec systématique, le stoïcisme et la résistance : "Je suis hostile aux consumés", écrit-elle, ainsi dans Le Pur et L'Impur. Et de fait : quiconque lit son oeuvre de ses débuts à ses derniers textes ne peut qu'être frappé par la fréquence des évanouissements masculins qu'elle décrit - et par la rareté symétrique des évanouissements féminins.

Il semble que l'audace de Colette repose sur des inversions paradoxales des genres et rôles sexuels.

Citation : Chez elle, ce sont les hommes qui s'évanouissent, ce sont eux qui perdent du sang aux moments cruels de nouveaux départs, ou des adieux. Dans cette oeuvre tout entière marquée par l'esprit du paradoxe, il appartient aux personnages masculins de tomber en syncope et de se teinter de sang. Les créatures fragiles, perdues dans un monde terrifiant, ce sont les hommes.

"Mitsou : questions de guerre et de genres", de Juliette M. Rogers

Voilà un article qui me donne envie de me plonger dans les pièces ou les nouvelles de Colette : l'évidence que lire des critiques intéressantes sur des oeuvres qu'on n'a jamais lues incite puissamment à compléter ses lacunes.

Citation : A ce moment du texte, la lettre de Mitsou explique à Robert que c'est en lui écrivant qu'elle a appris à se connaître et à devenir une personne plus complexe ; elle n'est plus "stupide" ni "vide" ni même "raisonnable". En revanche, les lettres de Robert signalent peu à peu un affaiblissement de son personnage, ce qui remet également en question les représentations traditionnelles de la masculinité : "Je me sens doux, faible, vague, penché vers quelque chose de moelleux, de profond, d'indistinct qui m'attire." La connaissance que nous avons des pensées de Robert contribue donc également à l'effacement des rôles sexués traditionnels.

"Jeux de genres", de Marion Krauthaker

J'apprends là une célèbre réplique de Colette contre les suffragettes : "Les suffragettes me dégoûtent. Et si quelques femmes en France s'avisent de les imiter, j'espère qu'on leur fera comprendre que ces moeurs-là n'ont pas cours en France. Savez-vous ce qu'elles méritent les suffragettes ? Le fouet et le harem." Cela me dégoûterait de Colette, à côté de laquelle le Général Bigeard, qui souhaitait marier Arlette Laguillier à un parachutiste pour qu'on "n'en entende plus parler", aurait presque l'air modéré.

Citation : Elle en tire la conclusion que les lesbiennes et "toute femme qui n'est pas dans la dépendance personnelle d'un homme" ne sont pas des femmes au sens traditionnel du terme et ne doivent pas s'identifier comme telles pour ne pas maintenir l'ordre hétéronormatif.

Elle dépeint des femmes dont le célibat (c'est-à-dire sans appariement avec un homme) n'est pas vide mais au contraire créatif, comme le fut souvent le sien.

Je ne suis pas d'accord avec ce que Marion Krauthaker semble croire ne pas participer du féminisme, que "Colette [entretienne] une vision favorable des versions de la masculinité qui [aillent] à l'encontre des normes patriarcales". Par convergence des luttes contre le patriarcat, la déconstruction des versions de la masculinité qui en découlent, en ce qu'elles oppriment et assignent les femmes par ricochet, participe du féminisme.

Citation : Il ne s'agira plus de se poser la question d'une prise de position pour le féminin, contre le masculin ou vice versa, mais d'envisager le fait que l'autrice cherchait plutôt à dénoncer la perspective traditionnelle du genre fixe et binaire et à en identifier les multiples victimes.

On trouve donc chez Colette des féminités multiples, riches en caractéristiques sociales et psychologiques, capables d'évolution, pas de stéréotype ni de type. Colette ne les enferme pas.

Citation : Dans de nombreux textes, Colette présente des patriarches déchus ou anti-patriarches qui manquent à leurs devoirs traditionnels. Ces personnages ne relèvent pas d'une sorte de volonté castratrice de la part de l'autrice, mais au contraire du désir d'identifier et de faire une place dans son oeuvre à toutes les victimes du patriarcat, hommes ou femmes.

Citation : La narratrice [de Le Pur et l'Impur] fait valoir son physique féminin, mais elle revendique un regard, une perspective et des valeurs neutres. C'est certainement ce qu'il faut comprendre dans sa formule : "(...) je vise le véritable hermaphrodisme mental".

Il me semble pourtant que, dans Le Blé en herbe, par exemple, Colette insiste jusqu'au maniérisme sur les comportements sexués de Vinca et de Phil, ce qui vieillit beaucoup son écriture. Elle semble dire qu'ils sont aussi bien hormonalement que socialement déterminés à avoir telle ou telle attitude, même si Guy Ducrey (cf. supra) y a étudié l'évanouissement de Phil et ses implications.

"Corps, genre et caractéristiques animales chez Colette" de Dantzel Cenatiempo

L'article évoque les spectacles de Colette aussi bien que les impressions que l'écrivaine donnait à ceux qui la côtoyaient. J'ai noté qu'il faudrait que je lise l'article de Jean Jaurès "Un incident au Moulin Rouge" in L'Humanité, du 5 janvier 1907 ainsi que "Le Rire de la Méduse", d'Hélène Cixous. L'article commente des photos, les fait parler sans surinterprétation et c'est intéressant.

Citation de la page 109 : "Plus généralement, [Sido] refuse les conventions sociales : elle ne veut pas porter de vêtements noirs en signe de deuil ni congédier une domestique qui est tombée enceinte. "Hélas, ce n'est pourtant pas un si outrageant spectacle, qu'une belle fille impénitente avec son ventre tout chargé...", fait-elle observer.

Le "genre fluide" de Colette est à prendre dans le sens d'"espèce fluide", avec une revendication d'animalité, héritée de l'éducation de Sido qui laissait ses enfants à l'extérieur toute la journée. Animalité sauvage ou de double appartenance chien-chat, avec une préférence pour le second. C'est notamment après son divorce que Colette s'est rapproprié son image et a préféré l'associer aux félins, aux fauves, plutôt qu'aux chiens, choix iconographique de Willy. J'ajoute qu'il y a dans les Vrilles de la vigne des passages où il y a bien plus de mépris pour les chiens que d'amour.

"Colette et le continuum lesbien" de Stephanie Schechner

Rappel bienvenu de ce que Colette et la sensualité toujours croissante de son écriture doivent à l'oeuvre de Proust, "ce contemporain qu'elle respecte.

Stephanie Schechner rappelle également la "multiplicité des rôles" endossés par Colette au cours de sa vie et sa revendication d'un "hermaphrodisme mental". Ce qui m'amuse, c'est qu'en Hypokhâgne, je prônais - honte rétrospective d'avoir osé "prôner" quoi que ce soit à cet âge-là - qu'un écrivain ne pouvait pas écrire autrement qu'avec cette bipolarité sexuée (et non pas sexuelle).

Sur le "continuum lesbien",  théorie d'Adrienne Rich, j'avoue que je n'ai pas compris grand-chose et je préfère donc ne pas en reproduire mes perceptions ici, une citation dit que c'est, d'une manière plus large, les rapports privilégiés des femmes entre elles. Bon.

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