Du Contrat social, de Jean-Jacques ROUSSEAU (1758)
Voici une des oeuvres majeures, pour moi, de Jean-Jacques Rousseau, que je connaissais déjà partiellement mais n'avais jamais lue dans son intégralité, même si je garde ma prédilection pour le Discours du fondement de l'inégalité parmi les hommes.
D'une manière extrêmement rigoureuse et dépassionnée, où il n'enfourche qu'à peine et à rigueur ses marottes, refusant ressembler à la caricature que nous laisse la fameuse lettre de Voltaire d'un être asocial, Rousseau passe en revue les différentes manières dont les sociétés se forment et les structures dont elles se dotent pour fonctionner, assurer la justice, la répartition des richesses, la sécurité...
Si, bien sûr, la démocratie est discrètement mise en valeur par rapport à la monarchie, il a la clairvoyance de n'en pas faire un régime-panacée et il s'efforce même d'étudier conjointement ces régimes, uniquement du point de vue des pouvoirs, des structures et pas distinctement.
C'est toutefois et par instants un peu aride à cause de cette rigueur intellectuelle et de ce manque de passion : c'est en fait un cours. Mais il y a vraiment des passages qui relancent l'attention et excitent franchement l'entendement. Et le qualificatif de "génie" me vient de plus en plus facilement quand je lis Rousseau, tant je le trouve visionnaire. Pour certaines citations, je me dis que beaucoup de nos penseurs, néo-libéraux ou au contraire alternatifs, peuvent aller se rhabiller (je pense notamment à Naomi Klein pour "La Stratégie du choc").
Et enfin, la passionnée de civilisation romaine que je suis n'a pu qu'adorer la très longue étude que Rousseau fait des fonctionnements de institutions de la République romaine, à la réserve près toutefois qu'il mélange allègrement les époques sans préciser chaque fois à laquelle il fait allusion, si bien que je reste circonspecte au sujet des éloges qui fait de la représentation démocratique aux comices : à l'époque de Cicéron, par exemple, on arrête de voter dès que la première classe de citoyens a fini de voter, sous prétexte que dès la fin de leurs suffrages, une majorité se dégageait ! Une ploutocratie ne peut être louée pour sa représentativité.
Citations :
- Ce n'est pas qu'il y ait beaucoup de gouvernements établis durant ces orages ; mais alors ce sont ces gouvernements mêmes qui détruisent l'Etat. Les usurpateurs amènent ou choisissent toujours ces temps de trouble pour faire passer, à la faveur de l'effroi public, des lois que le peuple n'adopterait jamais de sang-froid. (livre II)
- Enfin quand l'Etat près de sa ruine ne subsiste plus que par une forme illusoire et vaine, que le lien social est rompu dans tous les coeurs, que le plus vil intérêt se pare effrontément de nom sacré du bien public ; alors la volonté générale devient muette, tous guidés par des motifs n'opérant pas plus comme citoyen que si l'Etat n'eût jamais existé, et l'on fait passer faussement sous le nom de lois des décrets iniques qui n'ont pour but que l'intérêt particulier. (livre III)