Barbe bleue, d'Amélie Nothomb (2012)
Saturnine cherche désespérément un logement et celui qu'elle a trouvé dépasse toutes ses espérances : 40 m2 et une salle-de-bains pour 500 € dans le VIIème arrondissement de Paris, c'est trop beau pour être vrai ! Et le sort des huit précédentes colocataires d'Elemirio Nibal Y Milcar, toutes disparues, ne l'arrête pas. Avec une certaine brutalité, refusant de discuter, d'être séduite, de poser les questions que toutes poseraient à sa place, Saturnine emménage... Comme dans le conte, il n'y a qu'un lieu dans l'immense appartement qui lui soit interdit par son colocataire : le cagibi où il développe ses photos. Cet interdit ajoute à son animosité : quel piège convenu et grossier ! mais Elemirio, jour après jour, dissout ses préventions...
On retrouve beaucoup d'ingrédients des autres romans de l'auteur : l'homme au discours réac (mais pas trop misogyne, ni atteint d'obésité), des dialogues en forme de duel, la challengière plus maligne que les autres, toute mince, à la fois paradoxale et politiquement correcte (oui, ça existe). Je n'en dirai pas plus sur l'enchaînement de l'intrigue, même pour les besoins de ma démonstration, histoire de ne pas spoiler davantage.
Il se trouve que ces ingrédients me plaisent et que je trouve que Nothomb les a disposés de manière moins maladroite que certaines fois. Par exemple, la fin sonne moins comme une défaite, comme un "je ne savais pas comment finir, prenez toujours ça, et contentez-vous-en", même si c'est une fois de plus botter en touche. La thématique des couleurs, de l'or, des matières, de la sensualité, en somme, est traitée avec douceur et élégance.
J'ai été très touchée aussi du double fond de la question du cabinet noir. Elemirio n'a-t-il pas raison de laisser "ses femmes" se protéger d'elles-mêmes et de leur curiosité ? N'est-ce pas à elles de comprendre qu'il est dangereux de pénétrer un coeur qui n'est pas à soi, un passé où l'on n'était pas ? Comment une aimante pourrait-elle supporter qu'une seule pièce lui soit fermée à clef ?
Bref, j'ai dévoré le roman deux heures. Cela veut bien dire quelque chose !