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28 janvier 2015

Le Temps où nous chantions, de Richard POWERS (2003)

temps-où-nous-chantionsJonah a une voix exceptionnelle qui lui ouvre des portes qui devraient lui être fermée, de prestigieuses écoles de musique, de grands professeurs, l'attention de jeunes filles : il est métis pendant les derniers soubresauts de la ségrégation raciale aux États-Unis d'Amérique. Son frère Joey, le narrateur, est un bon pianiste, sans être exceptionnel, et se faufile dans la brèche, entre admiration et frustration résignée. Il sera accompagnateur pianiste de son frère et témoigne de son ascension à une époque où celle-ci n'allait pas forcément de soi. Cependant, leur petite soeur, Ruth vit douloureusement son métissage et se raccroche d'autant plus à sa famille noire qu'elle a la sensation que son frère aîné a laissé toute la place à son origine blanche ; sa propre route la mène chez les Black Panthers. Joey fera un bout de route avec elle aussi, quand elle lui demandera d'enseigner la musique dans une école, mais n'oublie-t-il pas de suivre sa propre voie (voix ?), à tenter de concilier et de se concilier toute la famille ?


Ce roman est véritablement beau et l'auteur trouve des mots infinis pour décrire la musique, dans le lexique technique, certes, mais pas seulement et cette performance rare (les romanciers sont plus visuels) lui vaut mon admiration frustrée, puisque c'est le thème. Là où ma résignation n'a plus de bornes (et je raconte un peu ma vie), c'est que le bref roman (ou une courte nouvelle) que j'ai écrit en 1996, qui était déjà "grillé" par Robert Merle, qui a écrit sur le même thème, à la même époque et avec le même style que moi, est définitivement immontrable, même à des proches : la description de chants choraux y est identique, là encore, à celle que j'ai faite dans ledit roman. Personne ne croira jamais que j'ai écrit sans copier d'autres références : ne jamais laisser vieillir ses manuscrits ; on me l'avait dit, je l'écrit ici, pas seulement pour me lamenter ou me justifier, plutôt pour que ça serve de leçon à d'autres. Peut-être qu'il n'y a pas non plus dix mille façons de décrire le chant choral, le chant d'un soliste, d'un duo...?

Revenons au roman de Richard Powers, le titre témoigne de la manière et du thème du roman. Le temps, qui est l'objet d'étude de David Strom, le père, grand physicien d'origine allemande, juif, est le jeu temporel principal du roman : la narration oscille entre le temps de la rencontre entre les parents, dans un espace-temps lui-même étrange, et le récit de la vie des enfants depuis leur naissance. Or ces enfants sont eux-mêmes des précurseurs, ils sont parfois qualifiés de "mutants", leurs parents en ont eu la vision et ont tenté de forcer l'avenir en les faisant. Quant à la musique, elle est à la fois la recherche d'harmonie, la preuve que ceux qui la chantent sont en avance sur leur temps, la nécessité d'une mesure et le lien entre les hommes. Il n'est pas innocent que Ruth, la petite soeur Black Panthers, cesse tôt la musique et considère ses frères plus pâles qui chantent de la musique de Blancs comme "de l'autre côté", mais elle-même à renier sans cesse ce côté-là d'elle même va se trouver prise à son propre piège. Ce personnage s'est montré d'un racisme aussi violent et constant avec son père et ses frères, sans compter la mauvaise foi, que j'ai eu beaucoup de mal à la plaindre quand son fils se montre insultant envers elle : il ne fait que lui dire ce qu'il l'a toujours entendue dire...

J'ai vraiment beaucoup aimé ce roman, qui m'a paru toutefois difficile à lire d'une traite mais il faut éviter de le lire sur un trop grand laps de temps également.

Citations :

  • - Tu vas suivre les cours des deux ?
    Jonah émit un gloussement théâtral de condamné.
    Il passa une saison en enfer. Il prit une leçon par semaine avec chacun des deux grands hommes, redoublant de travail, se débattant pour se souvenir quel professeur avait demandé quoi. Il se garda bien de parler à chacun de son rival. L'ensemble se déroula comme une sordide farce de boulevard. Jonah filait d'un studio à l'autre, dissimulait les preuves, changeait d'approche du jour au lendemain, jurant fidélité à des méthodes antinomiques.
  • - C'est pas grave. Je ne suis pas sectaire. Certains de mes meilleurs amis sont barytons.
    - Oui, mais accepterais-tu que ta soeur en épouse un ?
  • Il y eut un son sinistre et discordant. A trois heures du matin, même "Joyeux anniversaire" est terrifiant.
  • " (...) - Les gens nous détestent, lui dis-je.
    - Ce n'est pas toi qu'ils détestent, Jojo. Ils se détestent eux-mêmes.
    - On est différents, lui expliqué-je.
    - Ce n'est peut-être pas ce qui est différent qui leur fait peur, mais plutôt ce qui leur ressemble. S'il s'avère qu'on est trop comme eux, alors qui seront-ils ?"
  • Ruth, l'école, mes élèves : ils occupaient pour moi une place considérable. Mais, en vérité, ce n'était pas tout ce dont j'avais besoin. Il me manquait quelque chose que je ne pouvais même pas nommer. Quelque chose dans mon passé attendait l'autorisation. Il y avait une mélodie en moi qui avait besoin d'être couchée sur la partition, celle que j'avais jadis promis à Will Hart d'écrire. Mais je ne savais plus dans quelle direction pointaient mes notes. J'avais laissé passer l'occasion de les composer.
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