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19 décembre 2016

Le Royaume, d'Emmanuel Carrère (2014)

le-royaumeEmmanuel Carrière raconte comment il a rencontré la religion chrétienne, mais surtout trouvé - et perdu - la foi.

Ce qui m'a immédiatement saisie, c'est le sentiment de lire des choses que j'aurais pu, que je pourrais écrire, sans que j'aie démêlé immédiatement si c'était parce que nous nous ressemblerions, ou si c'est parce que je suis passée par les mêmes expériences.

Quand il attaque ce que j'appelle le "dossier Paul de Tarse", j'ai continué à frémir : aurait-il tiqué sur les mêmes choses que moi ? A cet étrange apôtre dont Jésus (s'il est bien le Messie) n'a pas trouvé le moyen de croiser physiquement le chemin en trente-trois années d'existence, alors qu'ils étaient plusieurs fois dans la même zone géographique, il serait apparu sur le chemin de Damas ? On pourrait aussi s'étonner de ce que ce soi-disant pharisien ait décidé de déjudaïser le christianisme naissant, au grand dam des apôtres du "canal historique" (compagnons du Christ) pour qui Jésus n'a jamais apostasié le judaïsme. Carrère fait plus que tiquer ; il évoque, sans y adhérer complètement, une thèse de Hyam Jaccoby, qui m'a fait sauter au plafond, à savoir que, vraisemblablement, Jésus aurait tout à fait collé au portrait que l'Ancien Testament fait du Messie, à savoir un agitateur anti-colonialiste, ce qui déplaisait autant aux Romains qu'aux sadducéens ("collabos"), ce qui aurait expliqué que Ponce-Pilate se soit fait un devoir d'expédier le "roi des Juifs" sur la croix. Mais il importait à Paul, qui exportait la bonne nouvelle chez les Gentils, de dédouaner les Romains et de charger plutôt les Juifs du forfait d'avoir sacrifié le fils de Dieu (ou fils de l'Homme ?). Et Paul explique la réticence des amis du Christ par le fait qu'il fut de leurs persécuteurs... Il y a de ça, mais c'est loin d'être la seule raison : ils lui en veulent bien plus, à cet apôtre autoproclamé choisi par le Christ, de la scission théologique qu'il opère chez les Gentils (et qui, encore aujourd'hui, permet à Onfray et à d'autres, de douter de l'existence du Christ : on trouve trop d'éléments des cultes orientaux païens dans son approche du message christique). Et l'on arrive à la question qui m'a, personnellement, emmenée très rapidement vers l'agnosticisme, à savoir la question de la rédaction et de la sélection des évangiles. Le choix des évangiles canons ne peut absolument pas être innocent et cette lecture me confirme qu'il ne l'est pas, mais pas seulement dans le sens que je croyais. Je viens d'effacer tout ce qui entre dans le détail : si la question vous intéresse, le texte de Carrère l'explore.

J'ignore s'il faut conseiller cette lecture à qui a la foi du charbonnier : ce livre est capable de faire exploser en plein vol la croyance, inévitable dans toutes les religions du Livre, que le texte est forcément inspiré de l'Esprit-Saint, alors que n'importe quel stylisticien a fait depuis longtemps le lit des on-dit, avec l'assistance sans états d'âme des fréquenciers numériques... Par exemple, non, le Jean de l'Evangile et celui de l'Apocalypse ne sont pas la même personne, je le sais depuis presque toujours. J'ai cru un instant que Carrère le niait (de manière subjective, comme il le rappelle toujours chaque fois qu'il sort des clous) mais vers la fin, il reconnaît que ce n'est ni temporellement possible, ni logiquement.

J'ai eu l'impression d'avoir veillé très tard avec un ami nouvellement rencontré, un ami cultivé qui serait passé par les mêmes questions que moi et qui m'expliquerait quelles pistes il aurait suivies pour y répondre, quelles réponses bonnes ou mauvaises lui étaient échues, et quelles directions lui restaient encore à explorer. Un grand moment, donc.

Prix littéraire Le Monde
Lauréat-palmarès Le Point
Meilleur Livre de l'année Lire 2014.

Citations :

  • Disons qu'Hervé fait partie de cette famille de gens pour qui être ne va pas de soi. Depuis l'enfance, il se demande : qu'est-ce que je fais là ? Et c'est quoi, "je" ? Et c'est quoi, "là" ?
  • Je n'émergeais de cette torpeur dépressive que pour ressasser ma misère, opposer une fois de plus les termes du conflit entre, d'un côté, l'évidence qu'Anne et moi étions malheureux ensemble, de l'autre, la conviction que mon choix était fait et que la réussite de ma vie dépendait de ma persévérance dans ce choix.
  • J'avais complètement oublié cette lettre [à ma marraine où j'annonçais ma conversion], dont un brouillon se trouve dans mon premier cahier. Relue aujourd'hui, elle m'embarrasse. Elle aussi, je trouve qu'elle sonne faux. Cela ne veut pas dire que je n'étais pas sincère en l'écrivant - bien sûr, je l'étais - mais j'ai du mal à croire que quelqu'un au fond de moi ne pensait pas ce que je pense maintenant : que tout cela n'était qu'auto-suggestion, méthode Coué, langue de bois catholique, et que cette débauche de points d'exclamations et de majuscules (...), cela ne me ressemblait pas.
  • Comme dit Michel Simon dans Drôle de drame : "A force d'écrire des choses horribles, les choses horribles finissent par arriver."
  • Je suis partagé en relisant ces textes, mais je l'étais aussi au temps où je les lisais. Je les trouve toujours magnifiques, je les trouvais déjà délirants. Il me semble évident qu'ils sont inspirés par l'expérience, je veux dire que les hommes qui les ont écrits ne disent pas n'importe quoi : ils savent de quoi ils parlent. En même temps, ils enseignent un dédain de l'expérience, du témoignage des sens et du bons sens aussi radical que la phrase immortelle du bolchevik Piatakov : "Un vrai communiste, si le Parti le lui ordonne, doit être capable de voir le blanc à la place du noir et le noir à la place du blanc."
  • L'un des plus célèbres contemporains de Paul, Sénèque, dit là-dessus quelque chose d'assez mignon, c'est que si par malheur il se trouvait réduit à travailler pour vivre, eh bien il n'en ferait pas un drame : il se suiciderait, voilà tout.
  • Moi, je m'identifie au jeune homme riche. J'ai de grands biens. Longtemps, j'ai été si malheureux que je n'en avais pas conscience. Le fait d'avoir grandi du bon côté de la société, doué d'un talent qui m'a permis de mener ma vie à peu près à ma guise, me semblait peu de chose au regard de l'angoisse, du renard occupé jour et nuit à me dévorer les entrailles, de l'impuissance à aimer (...) et c'est sincèrement que je me mettais en colère quand Sophie me reprochait d'être né avec une cuiller d'argent dans la bouche. (...) J'ai rencontré Hélène, écrit Un roman russe qui a été ma levée d'écrou. Deux ans plus tard, quand est paru D'autres vies que la mienne, de nombreux lecteurs m'ont dit que ça les avait fait pleurer, que ça les avait aidés, que ça leur avait fait du bien, mais quelques-uns m'ont dit autre chose : qu'à eux ça leur avait fait du mal. Il n'est question dans ce livre que de couples - Jérôme et Delphine, Ruth et Tom, Patrice et Juliette, Etienne et Nathalie, in extremis Hélène et moi - qui en dépit des épreuves terribles qu'ils traversent s'aiment vraiment et peuvent tabler là-dessus. Une amie, amèrement, m'a dit : c'est un livre de nanti de l'amour, c'est-à-dire de nanti tout court. Elle avait raison.
  • Les lois du Royaume ne sont pas, ne sont jamais, des lois morales. Ce sont des lois de la vie, des lois karmiques.
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Commentaires
J
bonsoir, toi tu as la foi du charbonnier car<br /> <br /> quand apres 10 heures de lectures tu te mets a faire cette critique qui t a pris encore des heures a faire, je dis qu il faut avoir tres envie de le faire; une grande volonté. <br /> <br /> Ce que tu fais , je ne peux le faire<br /> <br /> bonsoir
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D
J'avais beaucoup aimé "L'Insupportable Bassington", raison pour laquelle j'ai pioché celui-là (celui de ton billet, "La Fenêtre ouverte, en français") dans la boîte à livres de mon gentil docteur mais pas moyen d'avancer… Peut-être une question d'humeur… <br /> <br /> Concernant "Les Liaisons culinaires", comme je ne mange ni poisson, ni crustacés, ni fruits de mer, ni agneau, ni bœuf, je suis un peu frustrée, pour l'instant :-)
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D
Je bloque en ce moment sur un recueil de nouvelles de Saki. Je n'en vois pas le bout et je vais l'abandonner, au profit des "Liaisons culinaires" et de "La Colère des aubergines", empruntées grâce à toi à la bibli…
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D
Tentant !
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