Mon Chien Stupide, de John Fante (1986)
Quelques années après avoir vu l'adaptation qu'en a tirée Yvan Attal, je relis le célèbre roman de John Fante, que le narrateur de Daniel Pennac avait prétendu avoir fait lire à des Secondes. Ce n'est pas qu'il soit bien difficile, mais il est si peu politiquement correct que j'imagine mal qu'il ait pu "passer" même auprès des parents d'élèves moins premier degré il y a trente ans que ceux d'aujourd'hui.
John Molise, écrivain d'origine italienne, comme l'auteur, nostalgique d'un retour en Italie, à Rome ou à Naples, a épousé Harriet, une véritable WASP, peut-être plus raciste que lui, qui lui a fait quatre enfants dont seul le dernier, Jamie, n'était ni une gêne ni une déception. Il découvre dans son jardin un chien énorme, très étrange, qui tente régulièrement (mais sans puissance irrémédiable) de violer les humains de sexe masculin. Harriet ne le supporte pas et menace plusieurs fois de le quitter ; le moyen terme est une vie à l'extérieur de la maison. Entre-temps, la fille, Tina, finit par partir de la maison, et Harriet met sur le compte du chien tous ces départs qui mortifient et ravissent à la fois l'écrivain. Il est en effet persuadé que c'est sa vie de famille et toutes les contrariétés et déceptions afférentes, qui l'empêchent d'écrire un très bon roman.
On est ici dans le burlesque, parfois l'humour noir. Fante se livre à un jeu de massacre jubilatoire sur ses personnages, tout d'abord, pour mieux s'offrir le luxe de la nuance et de la tendresse dans un second temps.
Citations :
- - Ecoute. J'ai fumé de l'herbe avant que tu sois né, à l'époque où une boîte de Prince-Albert pleine de marijuana coûtait quatre cents.
- Ah, le bon vieux temps ! s'est-il moqué. Parle-nous de ça.
- Il n'y a pas grand-chose à raconter. L'herbe élargit la conscience des cerveaux ratatinés. Tu en as besoin parce que tu es un crétin. - En l'écoutant, j'ai découvert avec stupéfaction que je ne le connaissais pas quasiment pas ; brusquement il était devenu un mystère. Ainsi donc, nous avions désormais un autre martyr dans la famille. Dominic s'immolait sur l'autel de Katy Dann, et maintenant Jamie vouait sa vie aux enfants infirmes. Quelle différence avec leur père qui écrivait des scénarios minables pour mille cinq cents dollars par semaine (quand il travaillait !). Pas étonnant que je comprenne mes chiens et pas mes enfants. Pas étonnant que je sois désormais incapable d'achever un roman. Pour écrire, il faut aimer, et pour aimer il faut comprendre. Je n'écrirais plus tant que je n'aurais pas compris Jamie, Dominic, Denny et Tina ; quand je les comprendrais et les aimerais, j'aimerais l'humanité tout entière, mon pessimisme s'adoucirait devant la beauté environnante, et ça coulerait librement comme de l'électricité à travers mes doigts et sur la page.