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Mots et Images
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  • Ceci est le journal de mes films, de mes lectures, de mes spectacles et, parfois, des expositions où je vais, sans prétention à l'exhaustivité, à la science, ni à l'objectivité. La fusion avec over-blog a supprimé mes "liens amis" et je les prie de m'en excuser. Je suis la première ennuyée...
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21 février 2023

Le Portrait, de Jean de Palacio

CVT_Le-portrait_7075Une musicienne, vestale porteuse de la flamme de musiques plus anciennes, se sent une connexion invincible, presque dérangeante pour un portrait dans sa chambre... L'auteur nous laisse penser qu'il s'agit de celui de Maurice Guilhon, un universitaire, linguiste et lexicographie, devenu une sorte de sauveteur des langues et idiomes en cours de disparition, luttant inlassablement contre l'entropie... Le roman devient dystopique quand les dictionnaires et lexiques sont mystérieusement atteints d'une lèpre, de champignons, de dégradation, portant une atteinte irrémédiable à l'inestimable richesse de ceux qui emploient, employaient leurs mots.


J'ai très vite mesuré le privilège que j'avais de lire un roman de la perte, de la destruction, de la décadence écrit dans une langue d'une richesse "rare et précieuse" comme s'intitule le dictionnaire des mots relevant de ces épithètes ; on a même vers le début des périodes qui mériteraient le qualificatif de "cicéroniennes", telles que plus personne n'ose en écrire, tant c'est classique... mais beau et défiant la vivacité des esprits. L'objectif de cette sorte de contrepoint est, à mon avis, d'accentuer encore le sentiment de déperdition linguistique en nous faisant prendre de conscience des trésors qu'elle recèle... en nous tentant d'employer l'imparfait pour ce verbe "receler", car on se rend bien compte que beaucoup d'entre eux ont disparu ! La division inattendue en courts chapitres qui suspendent le souffle narratif évoquent, eux aussi, l'intervention inopinée du silence, les heurts, les trous...

C'est à travers son histoire d'amour pour Elisabeth Wehland, dernière dépositaire d'une langue dace (l'imitation du roumain est très réussie, à mon humble avis), que nous vivons d'une manière palpitante la traque d'une langue agonisante dont il ne reste plus que treize infinitifs et une locutrice fuyante. J'ai irrésistiblement pensé à Dumézil qui avait appris une langue du Maghreb qu'il était seul à parler, avec celui qui la lui avait apprise, et qui attendait avec impatience qu'il revienne pour la parler avec lui...

Je ressens un intérêt particulier pour le personnage de Sabrina Westwood, personnage opposant particulièrement soigné et réussi, en Hypatie vénéneuse, crédiblement néo-platonicienne, et vindicative. C'est surtout lui qui m'a donné envie de noter des citations.

Un grand merci à Babelio et aux éditions Le Beau Jardin de m'avoir donné l'occasion de découvrir ce roman et d'en rendre compte librement.

Citations :

  • A quelques temps de là, Maurice Guilhon reçut une lettre d'Elisabeth Wehland. Elle y disait à mots couverts, un mariage sans amour, où la raison entrait plus que le coeur. Il lui semblait, à la lire, entendre sa voix blanche. Mais le lettre était singulière à d'autres égards. Inachevée, incomplète, fragmentaire et désordonnée, elle montrait des phrases comme laissées à l'abandon, pleines de blancs, elles aussi, hérissée de vocables inconnus qu'il ne comprenait point, faits de trop de consonnes et trop peu de voyelles, à la sonorité heurtée et irritante, rendant le sens aléatoire. La ponctuation, sans logique, défectueuse ou mal gouvernée, participait de ce détraquement. Le point manquait, cessant d'indiquer la fin des phrases, ajoutant à la confusion.
  • Sabina Westwood se délectait du plaisir de nuire. Cet apostolat à rebours était le fait d'une religion mal comprise. Sur le principe de la rétribution, elle estimait qu'il lui appartenait de rendre le jugement et de prononcer la sentence. De cette sentence, on n'appelait point.
  • S'intronisant détentrice d'une pensée supérieure, elle n'avait au fond que mépris pour ces formes fluctuantes du langage qui la revêtent un instant.
  • Elle eût voulu écrire un livre sur le datif éthique, dativus ethicus, à partir d'une phrase qu'elle se récitait à elle-même : "Je te vous le condamnerai sans autre forme de procès."
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