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25 février 2023

Spare (Le Suppléant), du Prince Harry (2023)

9780857504791-frVictime du charme fou de la série The Crown (on se fait subjuguer par les deux premières saisons, et on gobe béatement les médiocres suivantes, puis tout ce qui sera médiocre sur le sujet, telles sont ma thèse et ma défense), me voilà tellement honteuse de me ruer sur cette autobiographie déjà tellement décriée par les médias (mais ce que décrient les tabloïds n'équivaut-il pas à une chaleureuse recommandation ? Sophisme ?) que je ne suis parvenue à m'en excuser qu'en commandant sa version en langue de Shakespeare, Spare.

C'est certes une périphrase, car je ne crois pas avoir déjà lu un récit dans une langue aussi facile pour qui n'a pas étudié l'anglais au-delà de sa terminale. Au moins le ghostwriter de ce prince n'a-t-il pas cherché à le faire passer pour Joseph Conrad (Heart of Darkness aurait pu être écrit en polonais, pour ce que j'en ai compris). Cela m'a tout de même appris beaucoup de vocabulaire relatif aux meubles, aux bâtiments, aux matières, aux réactions émotives : la mémoire du prince est kinesthésique (pas la plus coopérative pour qui veut faire des études supérieures, m'a-t-on dit) autant que visuelle, c'est frappant, dès les premières pages, tout se raccroche aux sensations, au décor, aux gestes effectués. Il incrimine (des psychologues le lui ont confirmé) le traumatisme de la mort de sa mère, la Princesse Diana, et explique régulièrement et métaphoriquement parfois comment elle a affecté sa capacité à se souvenir et même ses apprentissages scolaires, une soudaine difficulté à l'immobilité étant également apparue, le rendant le plus souvent incapable de se concentrer, de se poser pour lire. La Magna Carta fait partie des rares moments de l'Histoire de son pays et de sa famille qui ne l'ont pas laissé de marbre, uniquement parce qu'il avait visité les lieux où elle fut conçue.

Toujours dans la façon dont il rapporte les faits, notamment dans les moments qui suivirent l'annonce du décès de sa mère, j'ai été frappée par le grand vide verbal et physique qui semble l'entourer alors (et parfois à d'autres rendez-vous capitaux de sa jeunesse). C'est comme s'il n'avait rencontré, écouté et été touché que par son père (brièvement et à peine), tout ce temps-là. Son frère, William, l'actuel Prince de Galles, est étrangement absent, pour quelqu'un qui partage la même (très grande, avec une simple séparation) chambre, après un événement aussi brutal qui aurait dû les rapprocher et provoquer des échanges ; juste quelques paroles, aplaties par le discours indirect, de temps en temps, au sujet de la future belle-mère Camilla, l'actuelle Reine Consort, ou à propos d'une bêtise commise par Harry à Eton... Au bout d'un moment, cela devient artificiel et cette impression m'a mise sur la piste de l'expurgation, relatée sur les médias, et peut-être opérée après le décès de sa grand-mère, de la moitié du texte ! Le grand vide correspond, je le suppose, à cette autocensure, bien plus qu'à un vide réel.

Pour autant, il ne va pas jusqu'à faire cadeau à William de son égoïsme d'Héritier autant que d'aîné trouvant tout à fait normal d'avoir toujours la part du lion, et pas mécontent de voir l'écart se creuser entre eux, et rend Camilla (conseillée par son spin-doctor) très largement responsable de l'acharnement médiatique contre lui. Selon lui, elle l'a utilisé comme paratonnerre pour rentrer en grâce dans l'opinion publique ; elle devenait ainsi le soutien bienvenu d'un pauvre veuf accablé par les frasques de son cadet. Quand Harry se décide à révéler les différents lots et traitements plus en détail, certains constats ont tout du coup de griffe revanchard et du plat qui se mange froid. Mais j'ignore comment on peut grandir en étant trahi par les siens au lieu d'en être protégé.

 Pour le reste, vous avez eu les "bonnes feuilles" dans la presse et à la télévision, je pense que vous savez tout, ou que vous saurez tout, vu la vitesse à laquelle les tabloïds ont décidé de s'octroyer, sous couvert d'information, la publication du livre sous la forme à peine déguisée de feuilleton (si j'étais l'auteur, je ne me gênerais pas pour leur demander des droits sur l'exploitation du livre). A ma connaissance, ils ont toutefois très largement omis les anecdotes qui les chargent et les font passer pour ce qu'ils sont : de véritables voyous dépourvus de conscience. C'est le premier intérêt du récit de voir jusqu'où la traque et les calomnies rebaptisées informations peuvent aller. Autres passages très largement oubliés par les tabloïds et auxquels le Suppléant accorde pourtant une grande importance : ses différentes études militaires, son service en tant qu'officier dans la Royal Air Force, en Iraq puis en Afghanistan.


secrets-de-series-trois-secrets-sur-the-crown-4En dehors du talent de The Crown, présenté à contresens comme un brûlot antimonarchique, pour élever le pouvoir de la souveraine au rang de souffle divin, d'héroïne chrétienne au sens antique du terme, qui a sans doute flatté mon goût d'antiquisante pour les familles tragiques, je me suis demandé ce qui avait pu me fasciner au point d'acheter ce livre neuf au lieu d'attendre que le soufflé retombe. Je pense que c'est toujours pour le tragique qui nimbe la vie de ce jeune homme, l'injustice indécrottable dont sa moindre geste est entachée par les douteux hérauts et chantres médiatiques à la fois complices et maîtres des Héritiers du trône britannique, les "experts monarchistes", les opaques "sources proches de la monarchie". Il a en outre en commun avec nous tous des problématiques intimes que nous écoutons raconter avec l'intérêt de ceux qui cherchent réitération et réparation de leur propre problème, catharsis, peut-être. Là vois-je l'unique raison de nous intéresser à des histoires qui ne nous regardent pas, la vie privée des monarques ne faisant plus l'Histoire depuis longtemps en Europe.

L'inattendu a été de mieux comprendre les demandes réitérées de protection : là encore, la presse l'a reporté comme une lubie sans fondement, mais à la fin de livre, on est convaincu qu'il était criminel de les en avoir privés ensuite du jour au lendemain, au plus fort des appels à la haine contre le couple. J'ai également mieux compris comment fonctionnaient les cabinets de communication dans la famille royale : ils sont officiellement séparés et officieusement rivaux et ont la stratégie commune de croire qu'ils grandissent leur poulain en démolissant les autres membres de la famille royale, en faisant fuiter dans la presse (largement coupable sans cela) des rumeurs, celui du prince Charles n'hésitant pas à s'en prendre également à William. Bref, contrairement à ce que je croyais, la monarchie britannique crèvera de ces combines autodestructrices et fratricides et non pas des menées des républicains, qui n'ont qu'à regarder l'effondrement en mangeant du pop-corn.

Pas de sympathie par affinités avec cet homme dont absolument tout me sépare, mais un ajout de foi à la plupart de ses propos : il avoue trop de choses honteuses pour que ses dénégations sur d'autres sujets honteux n'aient aucun poids. Il comprend assez vite qu'il ne vaut pas plus que n'importe quel autre sujet de son royaume, mais que ces paparazzades maudites qui tuèrent sa mère et l'empêchèrent de mener la carrière militaire qui l'intéressait, sous peine de faire ses compagnons d'armes une cible, sont en même temps ce qui fait qu'il peut se rendre utile à une cause. Des choses aussi dérisoires que porter un bracelet représentant une association font augmenter les dons à ces associations... Donc si je devais qualifier ce qui est ressorti pour moi de la sympathie ressentie pour ce prince exilé, c'est un sentiment de claustrophobie intense, puis de vivre dans la familiarité de personnes qui, au mieux sont indifférentes à son sort, au pire sont des ennemis, qui suinte de page en page et dont il prétend que son exil aux Etats-Unis d'Amérique l'a libéré.

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