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Mots et Images
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5 janvier 2024

Les femmes musiciennes sont dangereuses, d'Annie Coste (2023)

CVT_Les-femmes-musiciennes-sont-dangereuses_5372Après de longues décennies d'abandon officieux de la musique, sur fond de "dès que je peux réinstaller un piano chez moi, je m'y remets", je m'y suis enfin remise mais, foin des conditions impossibles, avec un instrument plus portatif et la découverte qu'en compétence et sensibilité, je n'avais rien perdu. Et j'ai pris conscience que j'avais vécu plusieurs décennies "loin de mon coeur" (Mankiewicz, All about Eve), mais ceci est un autre sujet.

Il m'a paru que cette lecture (dont je remercie les éditions Flammarion et Babelio) allait correspondre à mes nouveaux choix de vie, et je comptais en faire donation ensuite à mon Conservatoire.

A réception du livre, je constate le beau cadeau que cela ferait. Catégorie "beau livre", indiscutablement, et, par expérience, je sais que les "beaux livres" sont difficiles d'accès, les images hypnotisent. Rien de tout cela avec cet album, bien que les illustrations soient effectivement magnifiques : elles remplacent juste pas l'intérêt du propos, qui est là. L'autrice s'est méritoirement bornée à des fiches d'une page, aérées et d'une police de caractère humaine ; à nous d'approfondir éventuellement le cas qui nous intéresse et à chercher d'autres oeuvres que les cinq ou six sélectionnées. Elle nous annonce souvent des centaines de compositions !

Nous partons de l'Antiquité (après un détour par la mythologie dans l'introduction) jusqu'à l'époque contemporaine, de Sappho de Mytilène jusqu'à Lizzo.

sommaire

Pendant des siècles, pour ne pas dire des millénaires, la musique des femmes est le fait d'aristocrates, de bourgeoises et encore, à condition qu'il y ait une tradition musicale dans la famille. A partir de là, le germe est favorisé ou empêché, soit par décision du père, soit par celui de l'époux, plus rarement du frère. Ce beau monde soit craint d'être déshonoré par la musicienne (cas de l'"exhibition" nécessaire de l'instrumentiste et/ou de la chanteuse, de la sortie du gynécée nécessaire à la remise d'honneurs divers, voire de l'enseignement nuisant à la modestie), soit d'être invisibilisé par elle. Les cas de récupération de l'oeuvre de l'épouse ou de la soeur, la spoliant des honneurs qui lui sont dus, sont légions. Je constate avec douleur que la chape de plomb tient à toute la période nubile, fertile, et qu'un veuvage ou l'envol des enfants, permet aux plus longévivantes, de reprendre l'oeuvre empêchée.

GuerrillaGirls_PC2009_38-1056x528Le titre systématique (depuis Les Femmes qui lisent sont dangereuses) avec l'emploi qui me paraissait contre-litotique de "dangereuses" m'apparaît soudain sous un autre jour : "dangereuses pour le patriarcat". Le concept féministe très contemporain d'"invisibilisation", raillé par les tenants de patriarcat (qui nient d'ailleurs jusqu'au concept de patriarcat) me semble de plus en plus pertinent : quand Éliane Viennot parle de masculin exclusif, qui a permis pendant des siècles d'éviter, par la concurrence lexicale, d'admettre l'existence de rivale dans des arts nobles, j'en vois l'application dans la musique, après l'avoir vue en littérature et en arts plastiques.

Chez Hildegarde de Bingen (que je découvre sous un nouveau jour), le talent a été attribué au seul Esprit-Saint, les musiciennes baroques ont été purement et simplement exclues du recensement des musiciens baroques. Chaque fois qu'une avancée a permis à une ou plusieurs musiciennes d'accéder à la reconnaissance, un mouvement de balancier réactionnaire a encore limité ledit accès : on veut bien promouvoir les femmes, mais il faudrait qu'elles n'excellent pas d'entrée de jeu, prouvant qu'elles avaient toujours été en pole position et pas ignorées du fait de leur médiocrité. Les conclusions de la plupart des notices biographiques m'ont presque toujours fait bondir en termes de : "C'est incroyable !", "C'est un scandale". L'opposition entre la grandeur et l'abondance de l'oeuvre, la contribution à la musique et le degré d'invisibilisation subi est toujours scandaleuse.

J'ai plusieurs fois constaté que c'est en ce début de XXIème siècle qu'on récupère et restitue à son autrice sa contribution. Je l'ai vu pour Hypatie, enfin reconnue pour ses apports notamment mathématiques, pour l'abondance des autrices proposées dans les programmes du Baccalauréat de Français, et Germaine Tailleferre, première compositrice à être proposée à l'examen du baccalauréat en... 2019 ! J'apprends que le Metropolitan Opera a fait jouer Ethel Smyth en 1903 et que, malgré l'ovation rencontrée (ou à cause de ? j'ai gagné le droit de poser la question), il ne s'est risqué à faire jouer une autre compositrice qu'en... 2016 ! Non, les féministes contemporaines ne sont pas "extrémistes", elles font bouger enfin les lignes au-delà des revendications de l'égalité salariale (interminable chasse à la licorne) et c'est ça qui est dangereux.

Marie Lou WilliamsLe cas des compositrices, chanteuses, instrumentistes afro-américaines est encore plus propre à l'invisibilisation - et je ne rentrerai pas dans les détails (toute à mon enthousiasme, je me rends compte que j'en dis peut-être trop sur le contenu du livre), mais j'avoue que je n'en connaissais presque aucune, alors que Bob Dylan, Elvis Presley, Janis Joplin et tant d'autres leur ont emprunté des airs, des techniques et leur ont rendu sans barguigner le tribut qu'ils leur devaient. Chez elles, la lutte est plus âpre, ne donne aucun gage (sauf quand les sentiments s'en mêlent... pauvre Lil Hardin, Mrs Armstrong), elles se revendiquent d'une sexualité triomphante, et pas toujours uniquement de manière allusive ou cryptée (petite vidéo de Victoria Spivey).

On terminera sur des parties plus éclectiques, géographiquement, majoritairement tirées de la pop-music et de femmes plus ouvertement féministes - et largement contestées - et tenant le devant de la scène : ce n'est pas la règle, c'est le choix de l'autrice.

Et enfin, on a accès à une playlist, par QR-Code. Je crois que j'achèterai plutôt le livre pour le Conservatoire mais que je vais garder cet exemplaire !...

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