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11 octobre 2019

Des Cannibales et Des Coches in Essais, de Montaigne (1580-1595)

Des-cannibales-Des-coches(relecture)

Montaigne est typiquement l'auteur qu'on lit en anthologie, en se promettant pendant des années de le lire en version intégrale, tant l'extrait est stupéfiant puis on procrastine, et je ne crois pas prendre mon cas pour une généralité. Grâce au programme obligatoire des classes de 1ère Générale en Français, je relis enfin les deux livres entiers, en évitant le moyen français en regard. Certes, je le lis, et assez bien, mais j'avais besoin d'une plus grande fluidité pour me lancer dans cette lecture parfois assez philosophique. Je me fixe les Essais en intégralité pour l'été prochain, si de nouvelles catastrophes ne me tombent pas à nouveau sur la tête.

Il tente, dans "Des Cannibales" de disculper (on sent le juriste !) avec talent les Tupinambas, peuple que Villegagnon a trouvé dans les terres derrière la baie qui sera celle de Rio de Janeiro. Ces derniers sont qualifiés de "sauvages" et de "barbares". Montaigne va stratégiquement encadrer de volées d'éloges et d'exemples de valeur le fondement principal de cette accusation - leur cannibalisme. L'appellation de Cannibale (qui vient de kaniba, kariba : hardi, courageux => Caraïbes) a désigné l'ensemble des Amérindiens, dans un premier temps, après l'abordage d'Hispaniola (la future St-Domingue), et s'est donc appliquée un temps aux Tupinambas. Les références à l'Antiquité, son argument d'autorité, sont omniprésentes : ces cannibles ont la simplicité du mode de vie des épicuriens, ne dédaignent pas l'ardeur belliqueuse ni amoureuse ("[Le prêtre] ne leur recommande que deux choses : la vaillance contre les ennemis et l'amour pour leurs femmes"), leur langue ressemble au grec et certains de leurs textes évoquent, promet Montaigne, le style d'Anacréon. Il s'étend beaucoup sur les circonstances au cours desquelles sont tués et mangés les ennemis des Tupinambas car elles permettent paradoxalement d'évacuer le pathétique : les ennemis ne demandent pas grâce, ils défient même leurs vainqueurs de les tuer, et ceux-ci les traitent bien pendant la détention. Très fort, Montaigne, très, très fort...

image001"Des Coches" est contruit très bizarrement ; je veux y voir l'illustration de l'écriture "à sauts et à gambades" dont il parle dans un autre livre. Je ne parviens pas à résoudre si le début et la fin se rejoignent de parti pris ou si, conscient soudain d'avoir fait une énorme digression en direction des Incas, il ne revient pas, sur une boutade, au sujet premier : "Revenons à nos voitures". Soit dit en passant, les deux livres s'achèvent sur des boutades. En tout cas, le deuxième fait un raccourci sidérant. Les coches sont les transports ; Montaigne a le mal des transports et ne se sent bien qu'à cheval. De là une réflexion sur la magnificence, puis l'origine des mondes, leur jeunesse... A propos de "jeune monde", quid du Nouveau monde ? Absurdité vite démontée. Exeunt les Tupinambas. Si on regarde les Incas sur tous les sujets, on a affaire à une civilisation achevée sur les plans artistique, intellectuel, moral : ces "enfants" tiennent la comparaison avec César, avec "les plus fameux exemples" de l'Antiquité ; ils ont l'endurance et la rigueur au devoir des Stoïciens. Montaigne démontre qu'ils ont perdu leur guerre contre nous parce qu'ils étaient trop valeureux face à des gens qui ne les valaient pas mais étaient mieux équipés et sans scrupules. Malgré sa sobriété et son souci de manier la litote, l'indignation de Montaigne sur le destin des Incas est perceptible.

 

Un indigene mexicain porte plainte contre un abus commis par le responsable dune encomienda-codex KingsboroughCitations (librement adaptées de la translation de Christian Keime) :

  • [I]l faut se garder de s'attacher aux opinions courantes, et juger en suivant la voix de la raison, sans écouter la voix commune.
  • Or je trouve pour revenir à mon propos, qu'il n'y a rien de sauvage dans ce peuple, d'après ce qu'on m'en a dit, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas dans ses coutumes (...).
  • La valeur et le prix d'un homme résident dans son coeur et dans sa volonté ; c'est là que réside son honneur véritable ; la vaillance, c'est la fermeté, non des jambes et des bras, mais du courage de l'âme ; elle ne consiste pas dans la valeur de notre cheval ni de nos armes, mais dans la nôtre.
  • Tout cela ne va pas trop mal : mais quoi, ils ne portent point de hauts de chausses.
  • Les gens ont tort de dire qu'untel "craint la mort", quand on veut dire qu'il y pense et qu'il la prévoit. (...) Considérer et apprécier le danger, c'est plutôt le contraire d'en être bouleversé.
  • [I]l faut épandre le grain, non pas le répandre.
  • Notre monde vient d'en trouver un autre (...) non moins grand, fourni et robuste que lui, toutefois si nouveau et si enfant qu'on lui apprend encore son a, b, c (...).
  • La splendeur ahurissante des villes de Cuzco et de Mexico et, parmi plusieurs choses similaires, le jardin de ce roi où tous les arbres, les fruits et toutes les herbes (...) étaient parfaitement reproduits en or (...).
  • Mais quant à la piété, au respect des lois, à la bonté, la libéralité, la loyauté, la franchise, il nous a été bien utile de ne pas en avoir autant qu'eux : par cet avantage qu'ils avaient sur nous, ils se sont perdus, et vendus et trahis eux-mêmes.
  • Ajoutez-y les foudres et les tonnerres de nos pièces d'artillerie et de nos arquebuses, capables de troubler César lui-même, si on l'avait surpris dans la même ignorance de ces armes (...) ; des peuples surpris, sous une apparence d'amitié et de bonne foi.
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