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2 octobre 2021

La Fille du puisatier, de Marcel Pagnol (1940)

la-fille-du-puisatierRelecture.

En 1939, Marcel Pagnol écrit ce scénario sans plus passer par la case théâtre : producteur, propriétaire de ses propres studios, il sait qu'il pourra le faire tourner directement. Le synopsis s'ancre à la fois dans l'air de son temps, à l'événement près et témoigne autant qu'il s'efforce de le rendre performatif, de l'évolution des mentalités, de la nécessité de s'unir, de faire famille, de faire nation. En 1940, date de la sortie du film, les personnages écoutent pieusement le message du général Pétain, couvert quelques années plus tard, par la bande-son du général De Gaulle et par son appel du 18 juin...

Au fond d'un puits des collines provençales, entre Lançon et Salon-de-Provence, on trouve un immigré italien, Pascal Amoretti, et espagnol, Félipe, qui a fréquenté l'école communale aux côté de Jacques Mazel, jeune bourgeois, descendant de paysans enrichis, comme beaucoup des bourgeois salonais. Ce dernier est toutefois devenu officier à l'Ecole de l'armée de l'air. Sans le savoir, ils sont destinés à être rivaux auprès de Patricia, fille de Pascal. Cette dernière est une "princesse" : élevée à Paris, pensionnaire chez les soeurs, elle a l'accent pointu, le sens de l'élégance et des manières chic. Elle garde toutefois un coeur simple, un mélange de fierté et d'humilité sociale, commun chez les déclassés, et les préjugés moraux et sexistes propres à ceux qui ont de la religion et leur honneur pour toute richesse. Félipe n'intéresse guère Patricia qui va se prendre d'une passion si dévorante pour Jacques que malgré toutes ses peurs, ses réticences et malgré même l'âpre sincérité de Jacques qui lui confesse ses premières intentions légères, par estime tardive, elle accepte d'aller au bout de son attirance et de ses conséquences... Or Jacques est mobilisé le soir même et ne pourra se rendre à leur rendez-vous du lendemain...


C'est un récit étonnant que je redécouvre avec admiration, même s'il a coûté sa réputation posthume à Pagnol, ce qui me vaut d'interminables disputes avec ceux qui tiennent à ce qu'il ait été pétainiste et qui ne veulent pas entendre que Pagnol a fermé ses studios de cinéma pendant l'Occupation pour ne pas avoir, justement, à faire de films de propagande, celui-ci ayant "glissé" avec les meilleures intentions du monde, et peut-être en a-t-il été conscient trop tard.

C'est en réalité, comme je l'ai écrit plus haut un récit qui illustre le concept de transition et on ne peut pas en vouloir à Pagnol, en 40, de s'imaginer qu'il s'agirait d'une Occupation dénuée de toute la phraséologie démoniaque dont on la pare de nos jours. La représentation des familles françaises y subit une translation qui, j'en jurerais, a été perçue comme audacieuse à l'époque : comme dans les comédies de Ménandre, la mixité sociale par le mariage y est promue, les Mazel et les Amoretti vont se fondre, Jacques et Félipe seront beaux-frères, même la profession de Jacques va se mâtiner d'un retour à la terre qui ne sera pas tout à fait régression sociale mais progrès de la technologie et de la science. Pagnol plaide également pour le pardon, la réconciliation, l'amour inconditionnel. Cela donne lieu à des passages d'une tendresse comique ou pathétique où l'on voit Pascal en proie aux tourments de ce que lui dicte son coeur (continuer à manifester à sa fille bien-aimée et estimée tout l'amour et toute l'estime qu'il continue à ressentir pour elle malgré sa "faute") et les idées reçues sur la dureté, l'éviction de ceux qui ont terni l'honneur familial. Patricia, elle, donne l'exemple de rester fidèle à ses sentiments premiers pour Jacques, alors même que les apparences en font un parfait galapiat, pour pouvoir élever l'enfant dans une piété familiale intacte, sans esprit de revanche mais avec beaucoup de bons sens et d'exigences ensuite. L'union, l'extension des liens, l'ouverture sont des thèmes traités d'une façon audacieuse, et les relents d'arriération ne parcourent les répliques que pour mieux justifier l'appel d'air des contre-arguments et du dénouement qui leur donnent tort.

Citations :

  • Vous n'êtes pas chez vous sur cette terre, même si vous l'avez payée bien cher. (...) Parce que vous ne la cultivez pas.
  • Jacques. - Il y a eu beaucoup de fous chez les Cassignol ?
    M. Mazel. - Beaucoup ? Mais, mon pauvre garçon, il n'y a eu que ça !... Ton grand-père - le père de Madame - tirait de temps en temps, après dîner, des coups de revolver sur la pendule, parce que sa femme avait un amant.
    Mme Mazel. - Qu'est-ce que tu ferais, toi, si je te trompais.
    M. Mazel. - Je ne sais pas ce que je ferais. En tout cas, je ne me vengerais pas sur l'horlogerie. Si tous les cocus tuaient les pendules, on ne pourrait plus savoir l'heure.
  • Moi, je suis très heureux et très fier que notre fils soit ce qu'il est. Nous ne sommes que des boutiquiers, ma pauvre Marie. Nous avons passé notre vie derrière un comptoir, comme les bestiaux au râtelier. Ce que nous avons fait de plus remarquable, c'est quand nous avons acheté le Café Oriental pour nous agrandir, et ma dispute, en 1927, avec le percepteur. Eh bien, des gens comme nous, ça ne sert pas à grand-chose. Et c'est bien consolant de penser que ça a servi tout de même à faire un fils qui est beau comme un Dieu, doré comme un astre, avec la poitrine large, les fesses petites, l'oeil noir et les dents belles. Et ce fils qui aurait pu, grâce à nos économies faire l'inutile toute sa vie, ce fils a voulu devenir officier. Et comme en restant par terre, ça n'était pas assez dangereux, il s'est fait aviateur : et comme un aviateur ordinaire ne risque pas assez de se casser la figure, il s'est fait pilote de chasse et acrobate.
  • Pascal. - (...) Je ne trouve rien. Je trouve que ce garçon s'appelle Amoretti, et que c'est mon petit-fils.
    Mazel. - Bien sûr que c'est ton petit-fils. Mais nous, pour lui, qu'est-ce que nous sommes ?
    Pascal. - Des passants.
  • Les plus jolies choses de la vie, c'est celles qu'on peut dire ou faire devant les petites-filles.
  • Mais cet enfant n'est pas à vous et c'est vous qui êtes à lui.
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Commentaires
T
Je viens juste de finir de relire, en moins de 3 heures, les quelque 280 pages de mon propre exemplaire de cette même édition (daté de 1976, de mon côté). <br /> <br /> Je relève pour ma part que le thème du puits et de la "mine" explosive revient de manière plutôt tragique dans plusieurs oeuvres, en plus de celle-ci: dans Jean de Florette, et aussi dans Naïs. Ilvous reste encore bien des "Pagnol" à chroniquer...<br /> <br /> (s) ta d loi du cine, "squatter"chez dasola
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