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Mots et Images
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  • Ceci est le journal de mes films, de mes lectures, de mes spectacles et, parfois, des expositions où je vais, sans prétention à l'exhaustivité, à la science, ni à l'objectivité. La fusion avec over-blog a supprimé mes "liens amis" et je les prie de m'en excuser. Je suis la première ennuyée...
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28 août 2023

Le Chant d'Achille, de Madeline Miller (2012)

9782266334426-475x500-1Pendant de longues pages, on hésite sur l'identité du narrateur, qui ne ressemble pas du tout à Achille. Nous verrons ensuite que la narration est assurée en réalité par Patrocle, l'ami-cousin-amant d'Achille, lequel sera dès l'enfance impliqué, à cause de son père avide, dans ce qui sera la future guerre de Troie. En attendant, condamné à l'exil, nous le suivons dans le royaume de Phthie (l'orthographe choisie par Mme Auché, traductrice, est "Phtie"), mené par le très stratège roi Pélée. Son fils Achille cache à la cour ses exceptionnels talents de guerrier et de musicien, jusqu'au jour où il choisit, à la surprise générale, Patrocle comme compagnon.

C'est avec un mélange d'espoir et d'inquiétude que j'ai entamé ce tome-ci des pastiches mythologiques de Madeline Miller : et si l'enchantement se rompait, cette fois-ci ? Après tout, l'écriture de Galatée m'avait paru un peu en deçà de la magie de Circé. Cela tenait-il au format de la nouvelle et de l'intention argumentative qu'elle sous-tendait ?

Dans sa première moitié, je n'ai pas été vraiment convaincue par cette adaptation d'une épopée en récit intimiste, genre où l'autrice a de réelles qualités de style et le génie de rendre claires les intrications souvent confuses des espaces-temps des mythes. Pourtant, pour moi, Achille n'est pas ce type de héros, c'est un personnage épique par essence. Patrocle, lui, montre dès le début son inappétence pour les arts martiaux, ne s'y forme pas, il sait qu'il n'a pas de valeur militaire et qu'Agamemnon le considère comme "l'animal domestique" d'Achille, ce qui est en contradiction avec ce qu'il est dans l'Iliade puisqu'il s'y montre capable de remplacer Achille dans un assaut, sans être démasqué avant de mourir...

En privilégiant trop longtemps dans le récit le côté amour de jeunesse avec quelques épisodes vraiment piteux, voire crapoteux, comme le séjour chez le pauvre Lycomède, l'autrice rend longtemps douteuse la capacité à embrayer vers le mythe héroïque que nous connaissons. Ce n'est sans doute pas un hasard si mes citations préférées, dans cette première partie à "contre-mythe", sont celles où l'autrice relie son Achille de roman psychologique à celui de l'épopée et où elle souligne ses qualités martiales.

Mais il faut bien qu'en arrivant à Aulis, le registre change et Madeline Miller s'y résigne. En effet, Achille est accueilli en triomphateur, en grand héros grec alors que, j'ai beau stimuler ma mémoire des pages précédentes, en dehors de très proches, personne ne l'a jamais vu faire plus que dégainer une épée, pas se battre, encore moins sur un quelconque champ de bataille ! Il n'a jamais vu de mort violente. Wolfgang Petersen, au moins, dans Troie, nous montre en préalable à la sollicitation d'Ulysse pour la participation à la guerre, une scène de bataille où Bratt Pitt, dans le rôle d'Achille, défie en combat singulier un géant qu'il abat d'un coup d'épée, comme on se débarrasse d'une ennuyeuse formalité, mettant ainsi un terme à la guerre. Dans le film, on comprend donc que les témoins sont conscients de son caractère indispensable dans une expédition d'envergure comme l'Iliade, contrairement au roman de Miller, où l'on doit se résigner à l'explication d'un oracle favorable à la présence d'Achille pour la victoire, et le fait qu'il soit un demi-dieu ; un demi-dieu certes assez mineur : l'autrice a raison de souligner que l'ambition de Thétis de faire de son fils un dieu à part entière était assez désespérée, au début du récit. En effet, ceux qui ont eu l'honneur et le privilège d'une apothéose étaient fils de Zeus, pas d'une nymphe (anoblie en "déesse" par Miller) fille d'un Titan, génération chassée par les Olympiens.

Pour moi, ce hiatus injustifiable était le défaut principal du roman, heureusement plein de charme et bien documenté : au fond, l'Iliade nous a-t-elle déjà montré Achille se battant ailleurs qu'à Troie ? A bien y réfléchir, j'y retrouve une tendance extrêmement maligne de l'autrice : elle sait se couler dans les non-dits des mythes et les exploiter dans l'intérêt de son propos. J'attendais avec beaucoup d'intérêt l'épisode Briséis, et même la naissance de Néoptolème, puisqu'Achille ne semble pas être bisexuel... eh bien, elle retombe sur ses jambes avec beaucoup d'adresse ! Oui, je l'affirme, Madeline Miller a encore une fois réussi à faire correspondre sa vision audacieuse du mythe avec les péripéties originelles, en allant même jusqu'à éclaircir des concepts archaïques qui étaient très compliqués pour moi. Je pense notamment à cette histoire de "part d'honneur", que je comprenais sans comprendre et qui coule de source sous sa plume. Bravo.

Citations :

  • Ce qui était miraculeux, chez Achille, c'était sa rapidité. Lorsqu'il entama la première passe d'armes, sa lance bougeait si vite que je n'arrivais pas à la suivre du regard. Elle tourbillonna avant de filer à toute vitesse, puis changea de direction et repartit tout aussi vite en sens inverse. Dans sa main, la hampe de l'arme semblait voler, et son extrémité gris foncé tremblotait, pareille à la langue d'un serpent. Quant à ses pieds, ils battaient le sol comme ceux d'un danseur sans jamais s'arrêter.
  • - Je ne crois pas que je le supporterais, finit-il par avouer, (...).
    Je savais qu'il ne se référait pas à sa mort, mais au cauchemar suggéré par Ulysse, la perte de son éclat, le flétrissement de sa grâce. J'avais vu la joie que lui procuraient son habileté et sa vitalité flamboyante, qui restait toujours juste au-dessous de la surface, prête à exploser. Qui était-il s'il n'était plus radieux ni miraculeux ? Qui était-il s'il n'était plus promis à la gloire ? (...) A sa mort, tout ce qu'il y avait de rapide, de beau et de lumineux dans le monde serait enterré avec lui.
  • Patrocle. Une voix retentit au-dessus de moi, musicale. En levant la tête, je vois un homme appuyé sur la muraille comme pour prendre le soleil, les cheveux sombres à hauteur d'épaules, un carquois et un arc négligemment passés autour du torse. Surpris, je glisse un peu, égratignant mes genoux sur la roche. Il est d'une beauté saisissante, avec sa peau lisse et son visage aux traits ciselés qui brillent d'un éclat plus qu'humain. Il a les yeux noirs. Apollon.
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