Circé, de Madeline Miller (2018)

On connaît tous l'histoire de Circé, la magicienne qui change l'équipage d'Ulysse en cochons puis qui devient douce comme une brebis parce que le capitaine lui a tapé dans l'oeil et qui se fait larguer (bien fait) à la fin... Mais est-elle une nymphe, comme Calypso, combien de temps Ulysse reste-t-il et de quoi est fait ce séjour, et surtout, que s'est-il passé avant ? Comment la fille du Soleil (excusez du peu) se retrouve-t-elle coincée toute seule sur une île au nom aussi improbable qu'Aeaea, alors que ses frères et soeurs règnent sur des royaumes autrement prestigieux ?...

Madeline Miller répond à tout cela et à bien d'autres choses encore ! Sa plume donne corps et vie à tout ce que nous savions, un relief, une atmosphère naturelle, sans nous donner l'impression de pasticher l'intertexte, notamment Homère, ou que ses extrapolations soient douteuses : ce qu'elle puise dans son imagination s'insère avec naturel dans les creux du mythe jusqu'à ce qu'on ne puisse plus rien imaginer d'autre, alors même que certaines situations sont souvent très surprenantes, peut-être à cause de leur fluidité d'insertion.

Parce que sa légende est assez brève, j'ai craint un délayage pénible mais les péripéties et rebondissements sont remarquablement amenés. Il ne me reste plus qu'à courir lire Le Chant d'Achille.

L'objet-livre est un régal : enfin un cinq cents pages qui n'est presque intact à la fin d'une lecture passionnée.

Citations :

• "Grâce à ses complots, il a vaincu Troie et remodelé la moitié du monde. Moi aussi, j'ai comploté. Quelles chèvres accoupler, comment augmenter les moissons, où envoyer les pêcheurs pour qu'ils remplssent leurs filets. Tels étaint les soucis pressants qui nous occupaient, à Ithaque. Tu aurais dû voir sa tête quand il est rentré. Il a tué les prétendants, et ensuite, que lui restait-il ? Du poisson et des chèvres. Un femme aux cheveux grisonnants qui n'était pas une déesse, et un fils qu'il ne comprenait pas."
• "Les dieux prétendent être des parents, dis-je. Alors que ce sont des enfants qui applaudissent en en redemandant."